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AutreMonde
7 octobre 2009

Leçons finkielkraltiennes (III)

Henry James – Washington Square.

En 1963, Whashington Square, pour ceux qui comme moi avaient 19 ans, c’était beaucoup moins le titre d’un roman d’Henry James que l’énorme succès  d’un groupe de jazz ‘‘New-Orleans’’, The Village Stompers. On peut encore écouter ça aujourd’hui sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=tUAwqhnqSAc .

Mais quand on était un peu curieux, ce qui dut être mon cas, on se laissait quand-même glisser jusqu’au livre. Je l’avais ainsi lu, de cela je me souvenais ; et je ne l’avais pas relu depuis.  Et combler cette lacune vient de me fournir l’occasion  de constater qu’en dépit des certitudes de Finkielkraut, on pouvait, l’ayant un jour croisée,  avoir  tout oublié de « l’histoire  inoubliable de Catherine Sloper ».

Catherine, c’est la fille d’Austin, Austin Sloper, brillant médecin, brillamment marié, rapidement père, d’un garçon éclatant de promesses d’abord, trop vite disparu, puis d’une fille, Catherine donc, dont la venue précède de peu le regrettable décès de sa mère. Ainsi Austin Sloper nous apparaît, au début du roman, frappé par un double malheur mais toujours brillant, fort démuni d’épouse, sans descendant mâle (qu’il pensa prometteur), mais nanti (et peut-être encombré) d’une gamine qu’on nous présente comme modérément favorisée par la nature, sans grâce et probablement sotte.

Et dès lors, dans ce qui va être un affrontement continu entre la volonté du père, riche et lucide, et l’obstination de la fille, aveugle et potentiellement bien dotée, face aux manœuvres conjuguées d’un beau (et fat) coureur de dot et d’une tante romanesque tombée sous son charme, on voit s’écrire un roman qui aurait pu s’intituler, Catherine endossant, mais pour les ternir, les habits d’Hernani : Comme une bêtise qui va

Cette pirouette est trop cruelle tant elle est touchante, Catherine. Et même s’il n’est pas impossible de faire une telle lecture, l’analyse, plus subtile, de Finkielkraut isole bien les thèmes dominants du roman et, en appelant à Simone Weil, il a raison de voir dans cette apparente sotte, « un être qui crie silencieusement pour être lu autrement ». Mais qui ne sera pas entendu.

Le père Sloper est enfermé dans ses certitudes, incapable de « lire » sa fille au travers de la vitre dépolie de ses deuils antérieurs, le coureur de dot ne voit en elle qu’une rente ambulante de trente mille dollars à enfermer dans une cassette de serments éternels, la tante romanesque fantasme sur la situation sans la capacité d’en analyser les ressorts psychologiques … Catherine n’est qu’une femme-objet qu’on observe en entomologiste (le père), en financier douteux (le faux amoureux), en contes-de-fées-dépendante (la tante).

Et pourtant, ballottée par des événements qu’elle schématise à l’excès  dans une non-interprétation permanente, incapable par inexpérience et manque de formation du moindre recul, Catherine perçoit confusément, puis assez nettement, le désamour de son père, la folie douce de sa tante et l’absolue vacuité des serments du prétendant. Et ce qui me semble émouvant, c’est sa marche au renoncement, son parcours lent mais inéluctable vers une sagesse inconsciemment stoïcienne, vers une ataraxie non théorisée mais intuitivement aperçue comme un recours salvateur, vers un retrait accepté, loin d’un monde affectif dont elle a mesuré les illusions et où elle a rencontré tant la fausseté d’un amour paternel avorté que l’égoïsme forcené d’une tante-midinette, où elle a respiré l’atmosphère empoisonnée des  séductions trop intéressées.

Il y a dans ce roman une tragédie dont les personnages, à l’exception de Catherine (et sans doute secondairement d’une autre tante, mais qui ne fait que passer), sont des cœurs secs. Et cette sècheresse interdira à l’âme innocente et assoiffée d’amour de l’héroïne de trouver son envol. Il ne lui restera qu’à prendre acte du désert affectif qui l’entoure et à s’en contenter, repliée sur l’immobilité d’un temps consacré définitivement à la répétition de tâches inusables, et, rendue à la solitude d’une lucidité chèrement payée, à justifier ces dernières lignes : « Pendant ce temps, Catherine avait repris sa place dans le fauteuil du salon, et, son ouvrage à la main, semblait installée là … pour le reste de ses jours. »

Semblait et non était... Faut-il malgré tout attendre là la possibilité d’un autre avenir ?

Je l’ai dit, ou suggéré, les analyses de Finkielkraut ici me semblent excellentes, je ne vais pas chercher à les contrer, le peu qui j’y ajoute n’a que des prétentions marginales.

Rem : Par contre - et accessoirement ? - j’ai sursauté devant la coquille typographique, page 242, ligne 5 : fringuant là où il fallait fringant. À une heure où François de Closets milite presque pour l’orthographe-SMS ( !), voilà un piège bien ennuyeux du français des puristes, celui de ces verbes en « guer » dont le participe présent fait évidemment « guant », mais dont l’adjectif associé se contente de « gant »… Ainsi, non seulement un jeune homme fringant, mais un jeune homme se fringuant mal, ou une femme fatigante, mais une femme me fatiguant, ou encore le personnel navigant a embarqué à bord de ce bateau sur la mer naviguant, ou bien cet intrigant qui ne parvient qu’en intriguant, etc.

Très intéressant, complémentairement, le détour que fait Finkielkraut par la relecture d’un autre texte d’Henry James, Retour à Florence (qui semble actuellement hélas indisponible, y compris via Amazon… Wait and see – Je n’en ai pas d’exemplaire), sur la possibilité de se fourvoyer en écartant des choix affectifs sur des critères rationnels, avec cette question ouverte : Catherine, épousée par son coureur de dot, n’aurait-elle pas accédé au bout du compte à un sort préférable ?

Dur de garder un doute aux portes du tombeau. En biaisant son intention, Georges Brassens, dans une de ses meilleurs chansons, Mourir pour des idées, avait-il énoncé autre chose : « Car s’il est une chose / Amère désolante / En rendant l’âme à Dieu / C’est bien de constater / Qu’on a fait fausse route / Qu’on s’est trompé d’idée … » ?

L’hypothèse d’ailleurs est explicitement mise en avant dans le roman par la seconde tante de Catherine: S’il [le coureur de dot]  l’épouse et qu’elle hérite de la fortune [de son père], le ménage pourra tenir. Il  sera paresseux, aimable, égoïste et, sans doute, un compagnon d’assez bonne composition.  Ce n’est pas forcément l’enfer annoncé par un père psycho-rigide et raisonneur , puis ‘‘déshériteur’’… et c’est peut-être mieux que le repliement obtenu in fine sur une éternité de travaux d’aiguille.

On ne saurait parler d’aimer ses enfants en projetant sur eux trop d’attentes, voire simplement des attentes, en s’obstinant à les vouloir lire selon ses propres codes. Et quand Finkielkraut souligne, chez Simone Weil, cette formule : Le savoir, c’est le pardon, on peut en interpréter le sens à cette aune. Il faut savoir pardonner à l’autre d’être différent… et espérer de lui la pareille.

L’altérité vécue comme similitude, en somme.

Quant à ce triomphe du végétatif en lequel se résout l’intrigue, quand nulle grande âme n’a été là, qui aurait pu franchir les obstacles, peut-on oser y entendre un écho des petits pas étriqués et peureux de Martina et Philippa, les sœurs  soumises du Festin de Babette, et pourquoi pas aussi, toute ambition abandonnée après son chant du cygne, de la dernière ligne droite désertifiée promise à ladite Babette.

Mais alors, ce pourrait être façon de dire que quels qu’aient pu être les dons, et les choix, aussi haute que se soit montrée l’acmé du parcours, c’est dans le tunnel épuisé des ressassements inutiles qu’on attendra la fin.  Essentiellement seul.

Diable ….

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