Tir Groupé ...
Tout le monde s’y met!
J’étais déjà soumis - comme il est convenu de dire - à “l’amicale pression” d’un estimable correspondant, mais son souci m’a l’air fort partagé, de trancher dans le vif et d’avancer à découvert sur le sujet qui donc l’occupe.
C’est d’abord Compagnon, de son prénom Antoine, qui de sa chaire au Collège de France et dans son cours sur Proust ne veut pas passer sous silence les mouvements de la pensée philosophique universitaire française de la fin du XIX° siècle, soulignant qu’il s’y sent poussé par une inquiétude qu’il dit “du jour”: Alors, déjà, et préalablement aux mises en place de 1905 et de la loi de séparation de l’Église et de l’État, on s’attachait à définir une morale laïque et on s’y occupait l’esprit.
Ensuite je reçois la livraison de Janvier-Février du journal de la MGEN, Valeurs mutualistes. L’éditorial de Jean-Michel Laxalt, ci-devant président de la Mutuelle, s’intitule: “Laïcité”, avec ce chapeau: “La loi de 1905 ne fut pas revancharde mais fondatrice d’une République moderne garantissant la liberté de conscience du citoyen. La laïcité est le ciment de la nation”...
Et puis, je lis le Monde. Un peu, beaucoup, en l’achetant passionnément ...
Jeudi 24/1, c’est en page Débats le point de vue (“Sarkozy, papiste ou gaulliste?”) de deux “Philosophes”(Mezri Haddad et Jean-François Mattéi) - toujours chez moi cette irritation de voir des enseignants s’auto-proclamer qui “philosophe”, qui “mathématicien”, appellations qui me semblent ne pouvoir concerner que fort peu de gens et n’être attribuables que par d’autres que soi. Eux sont pour une “évolution” avec en exergue: “La laïcité française enfin parvenue à maturité se normalise en se mettant au diapason des nouveaux défis du siècle” et appellent De Gaulle à leur secours: “Nous sommes un pays chrétien, c’est un fait. Nous le sommes depuis longtemps...Eh bien nous n’avons pas besoin de nous méconnaître, et cette flamme chrétienne, en ce qu’elle a d’humain, en ce qu’elle a de moral, elle est aussi la nôtre” (discours du 11 février 1950).
Samedi 26 / 1. Analyse d’Henri Tincq (spécialiste au quotidien des questions religieuses): “M.Sarkozy, la laïcité et la religion civile”. Un article modéré, informé, qui reprend des éléments des discours de Latran (20/12/007) et de Ryad (14/1/008) pour y reconnaître “une vision de la laïcité assez différente de celle qui avait fini par s’imposer en France après un siècle de crises”, et y voir - avec des précautions - les linéaments peut-être “d’un rêve de religion civile à l’américaine”, rappelant: “La constitution des États-Unis sépare nettement la religion de l’État, mais une religion civile existe bien, qui exclut toute suprématie confessionnelle, mais place sans complexe la religion au cœur de la sphère publique. C’est à ce titre que le président élu prête serment sur la Bible ou, dans un autre genre, au nom d’une liberté de religion sans restriction, que l’Église de scientologie a droit de cité”.
Dans une dernière partie (Reconstitution de l’Histoire), Tincq prend nettement position, disons: “contre”, reprochant au président de la République sa malheureuse comparaison des rôles respectifs du curé et de l’instituteur, lisant une laïcité de fait “néocléricale” sous la “laïcité (sarkozyste) positive” et rappelant que: “la laïcité est une sorte de “bien commun” en Europe où aucun pays membre ne s’identifie plus à une force idéologique ou religieuse unique”.
Mardi 29/1, page Débats, un nouveau “Philosophe” s’y colle, estampillé cette fois École Normale Supérieure (Jean-Claude Monod), avec ce titre: “L’abandon de la neutralité laïque”, et ce sous-titre: “Le discours récurrent de Nicolas Sarkozy sur la religion rompt avec l’héritage républicain”.
Et il cite l’abbé Grégoire [Henri Grégoire (1750-1831) Évêque constitutionnel de Blois - Il contribua à faire voter les décrets accordant les droits civils et politiques aux juifs et l’abolition de l’esclavage]: “Qu’importe ma religion pour l’État! Qu’un individu soit baptisé ou circoncis, qu’il prie Jésus, Allah ou Jéhovah, tout cela est hors du domaine du politique”. Et il s’amuse à réécrire quelques passages des discours de Latran et de Ryad au bénéfice d’un président de la République portant son athéisme en bandoulière comme l’actuel son catholicisme: “Dieu n’est rien d’autre qu’une illusion sous laquelle l’homme s’humilie” ou “ la République a besoin d’athées militants qui ne se laissent pas duper par des espérances illusoires et travaillent à l’amélioration réelle, ici bas, des conditions d’existence” ou “la République a besoin d’une morale débarrassée des fausses transcendances et résolument humaine” ... toutes professions de foi (!) dont je pourrais en fait me sentir fort proche ...
Vendredi 1/2/008, c’est au tour de Caroline Fourest, essayiste et enseignante à Sciences Po. Elle a “carte blanche” et un tiers de page. Son titre: “Une laïcité de chanoine” et en grands caractères: “Jamais depuis un siècle la France n’avait connu une telle frénésie dans la construction de lieux de culte”. Un article très engagé, qui relit les propos et les projets du président de la République à l’aide de l’ouvrage qu’il signait en 2004: “La République, les religions, l’espérance” et qu’elle lit comme “un livre de combat contre une conception stricte et ambitieuse de la laïcité à la française, qualifiée de “sectaire” ...”. Elle dénonce: “Alors que 3% des Français sont musulmans et 2% protestants, il s’ouvre chaque année en moyenne 34 lieux évangéliques et 16 mosquées”. Nicolas Sarkozy dans son livre envisageait de modifier l’article 2 de la loi de 1905 pour financer des lieux de culte sur fonds public? Elle écrit: “Au lieu de financer le retour du religieux, on pourrait surtout consacrer cet argent au social et au culturel. Par exemple réduire le nombre d’élèves par classe dans les quartiers populaires. Mais ce n’est pas la priorité de notre président, pour qui un instituteur ne remplacera jamais un prêtre ou un pasteur”. Évidemment, dit et vu comme ça ... en gros, j’adhère.
Dans son papier hebdomadaire et synthétique (Dialogues), la médiatrice du journal, Véronique Maurus, a repris la question Dimanche 3 - Lundi 4/2/008 à partir des courriers de lecteurs de la semaine écoulée. Son titre: "Laïques mais pas Laïcards... ". Pas de surprises. Le sujet fâche. Le journal est accusé tantôt d’antisarkozysme primaire, tantôt de crypto-connivence avec les calotins... La médiatrice essaie de défendre le compromis, acceptant de se souvenir que le Monde lui-même a des “racines démocrates-chrétiennes” mais affirmant qu’il garde l’équilibre dans une approche de la société où “le fait religieux doit être observé dans toutes ses dimensions, historiques, éthiques et culturelles”. Concluant: “Il ne s’agit pas d’être pour ou contre mais de respecter, de rendre compte, d’organiser le débat ...”.
C’est bien joli tout ça me direz-vous, mais vous? En quelque sorte... moi?
Bah, je l’ai esquissé...
D’un vernis d’enfance tout à fait ordinaire, dans un milieu familial nettement catholique, baptême et communion, j’ai gardé j’en conviens ... des rejets religieux assez violents. Et je me suis toujours senti très proche du Brassens s’efforçant à la raison en chantant: “Anticlérical fanatique / Gros mangeur d’ecclésiastiques / Cet aveu me coûte beaucoup / Mais les hommes d’église hélas/ Ne sont pas tous des dégueulasses / Etc.”.
Très schématiquement, ma religion a été l’École, et le reste, et mon émotion et ma reconnaissance vont aux seuls apôtres du savoir, obscurs, entêtés, courageux, dignes, qui officient au fond des classes. Ensuite ...
Ensuite il faut repartir de là. Il ne me semble pas utile de “lutter” contre les religions, mais simplement indispensable de diffuser la rationalité qui permettra d’en cerner la relativité, le rôle, d’en déchiffrer les origines, et je l’espère, foi renouvelée dans l’esprit des Lumières, de les réduire à ce qu’elles me paraissent être, la perche vers laquelle se tend désespérément la main du noyé à qui on a oublié d’apprendre à nager.
Mais j’en sais, et de forts savants, qui n’en restent pas moins crédules.
Alors, comme la liberté de chacun s’arrête où commence celle des autres, je suis plutôt favorable à la position de Régis Debray quand il veut enseigner ”le fait religieux”, favorable à une approche d’information historique, culturelle, exhaustive et équilibrée, visant à resituer l’élève dans un monde où l’humanisme ne parvient pas à s’élever au dessus des réflexes de repliement, en essayant de lui en faire comprendre l’inanité, en essayant de le persuader de ceci que beaucoup dépend de sa propre décision, éclairée par ce qu’on lui enseigne et par ce qu’il apprend ( une décision que j’aimerais d’engagement, mais d’un engagement - quel qu’il soit - distancié et sceptique, aux antipodes de tout fanatisme), en essayant de lui insuffler aussi un espoir sans transcendance mais sans faiblesse qui le fasse œuvrer au quotidien pour un monde meilleur avec pour souci premier - revenant à Brassens - “de ne pas emmerder son voisin”.
Tout ça est un peu court ?
Et pourtant, rien d’autre ne compte que cela: se ressaisir de l’école, diffuser la pensée dont elle peut être porteuse, développer à travers elle les intelligences.
Comment ne pas voir que la plupart des maux dont on accuse la jeunesse - et pas nécessairement à tort - viennent de ce qu’on ne lui a rien donné à penser, de ce qu’on ne lui a pas appris à réfléchir, sachant hélas que le système éducatif - parlons pour nous, le système français, celui qu’on pourrait encore tâcher de sauver - en l’état de ses blocages, n’est plus apte à y parvenir.
Alors la réforme?
Bien sûr. Mais pas n’importe laquelle.
J’en ai déjà parlé. Y revenir? Peut-être. Et puis dire deux mots de la commission Pochard ... mais une prochaine fois.