Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
16 décembre 2007

Reunokamuhabibodri...

... ou Renaud Camus/Habib/Audry? Il y a de curieux enchaînements. Je parlais chien l’autre jour (“La vie du chien Horla” - Renaud Camus). Le livre avait été “chroniqué” quelque part, en 2003, et la chronique était signée de Claude Habib, qui prolongeait d’un mot l’affaire en évoquant son peu de penchants canins et sa néanmoins forte émotion aux dernières pages des souvenirs de Colette Audry: “Derrière la baignoire” (Prix Médicis 1962), narration des années “Douchka” de l’auteur. Douchka était une chienne et fut “sa” chienne. Un berger allemand. Un amour fou, d’évidence. Bon. Je m’offre le bouquin. On le trouve en Folio. Dans les 7 ou 8 €. Et puis je feuillette en fin de semaine dernière le programme du Collège International de Philosophie, vaguement incertain de la date, début 2008, d’une journée d’études que j’y ai vu annoncée, qui m’intéresse et que je retrouve: “La question de la sexualité chez Rousseau - Problèmes anthropologiques et éthiques”. Parmi les intervenants de l’après-midi, Claude Habib, Université de Lille III, sur le sous-thème: “La pudeur et la grâce”. La pudeur et la grâce: deux mots qui ne sont pas dépourvus de sens quand on songe à la qualité de la relation - incompréhensible à qui n’est pas passé par cet échange - qui peut se nouer avec un chien, pas n’importe quel chien sans doute, mais certains chiens. Peut-être plus spécifiquement avec une chienne ... J’ai trouvé la coïncidence étonnante, émouvante presque. Cela noté en passant, revenons à Audry, Colette. Je sors du livre. Elle passait l’agrégation de Lettres dans les années 1954/1955, la chienne a suivi de peu. L’oral du concours avait lieu au Lycée Montaigne à l’époque, le long du Luxembourg. Dans les années 80, j’y ai souvent été de jury du Capes. Il faisait régulièrement froid en juillet, dans ce grand et vieux bâtiment, si l’été hésitait un peu. Pas frais, froid, carrément. Dans le contexte rapporté (Audry), il y avait eu un divorce déjà et un fils était là, d’une grosse douzaine d’années. Où cela situe-t-il l’auteur? Vers les trente-cinq / quarante ans ? Elle habitait rue du Ranelagh, un trois pièces et la maison de la radio était en construction ... Je la rajeunis en fait. Ses années Douchka, c’était plus près de la cinquantaine. J’ai retrouvé sa “nécro” dans l’Humanité du 22/10/1990. Il suffit de faire l’opération. “Colette Audry, qui avait obtenu en 1962 le Prix Médicis pour son roman « Derrière la baignoire », s’est éteinte samedi à l’hôpital d’Issy-les-Moulineaux, à l’âge de 84 ans. Petite-nièce de l’ancien président de la République Gaston Doumergue, cette agrégée de lettres fut d’abord enseignante au lycée Molière à Paris, avant d’entamer une carrière de femme de lettres et de scénariste (« la Bataille du rail » de René Clément, notamment, ainsi que « les Malheurs de Sophie » et « Fruits amers », films réalisés par sa soeur Jacqueline Audry). Directrice de collection chez Denoël, elle a été l’auteur de nombreux livres. Elle avait, de 1945 à 1955, collaboré aux « Temps Modernes » de Sartre. Militante socialiste de longue date, elle fut membre du comité directeur de ce parti de 1971 à 1981, ainsi que présidente de l’Institut d’études et de recherches socialistes (ISER)”. Tomber sur cela m’a touché, juste après le livre. Car ce livre, c’est une femme étonnamment sincère qui l’a écrit, étrangement sans âge aussi dans ses réactions, ou alors jeune, entêtée, impulsive, “hors de tout”... non, plutôt dédoublée, engagée - à son corps défendant semble-t-il, du moins si on la suit - dans une expérience irrationnelle et immaîtrisée, dans un amour (canin) total et immodéré et dont la narration montre assez comme il l’a dévastée. Et dans la nécro? Rien. Ah, si, le titre d’un roman, primé. Mais qui savait? Étonnant déséquilibre. Enseignante, militante, mère “célibataire”, investie dans des activités politiques et d’ écriture multiples, au cœur d’un réseau serré de relations, d’amitiés diverses? Sans doute mais tout ça, invraisemblablement, jusqu’à l’absurde tel que décrit, autour d’un point fixe obsessionnel, proclamé répulsif et vécu aussi attractif qu’un trou noir, qui désorganise tout et exige qu’autour de lui tout s’organise et qui est “ça”: un chien! Pendant six ans. Et pour un après qui ne pourrait plus avoir les couleurs de l’avant. Il y a de la folie dans cette longue narration. Le livre n’est pas un “bon” livre, ni de grande valeur littéraire. Mais on le lit. Il irrite, presque constamment, tant s’y dévoile absurde la prise de pouvoir de l’animal, le déséquilibre du compagnonnage qui fait du maître l’esclave du chien, une démission résolue dans le refus de discipliner la relation (et du coup l’acceptation, l’accablement!, de cent contraintes dans l’autre sens). Peut-être a contrario une leçon, et soudain la vision que ce qui est dit là, ce pourrait être une métaphore de nos effondrements pédagogiques d’aujourd’hui: Douchka ou “l’élève au centre du système”, Douchka ou la prise de pouvoir de “l’apprenant” qui du coup n’apprend rien, sur l’enseignant qui dès lors n’enseigne plus. Mais Colette Audry - requiescat in pace - n’est plus là pour s’en expliquer... et sa détresse amoureuse, excessive et désespérée, est un vrai choc. Tout amour est-il émouvant? Même fou de cette folie? Je ne crois pas. Il y a des trop qu’il faut s’interdire. Elle a “bien trop” aimé ce chien pour que ce chien ait été “bien” aimé. Belle photo de couverture et beau regard animal ... auquel il faut savoir ne pas céder. Je ne regrette pas les trois heures passées avec elle et Douchka, mais quel mauvais exemple ... ou peut-être quel bon (?): Ne jamais faire ça. Une chienne est passée dans la vie de Colette Audry. Elle en a été envahie. On l’entrevoit, on le voit, on l’accompagne, on la plaint. On peut penser: terrible débordement d’un ébranlement intérieur venu d’ailleurs et comme goutte d’eau, un berger allemand. Pas sûr, ou pas seulement. Elle a aimé. Qui sait, qui ne l’a pas connu, ce qu’est aimer un chien? Mais ici, malgré tout, quel saccage...
Publicité
Publicité
Commentaires
C
Que le Père Noël vous offre quelques beaux livres.<br /> Et que la critique érudite que vous en ferez nous soit accessible.<br /> G Cirla
Répondre
V
Je vous remercie pour ces lignes sur Colette Audry.<br /> <br /> "Nos morts, nos pauvres morts..."
Répondre
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité