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AutreMonde
7 décembre 2007

Bruce Benderson, littérateur américain foutraque ...

J'ai oublié où j'en ai d'abord entendu parler. C'était il y a peu (et ce n'était pas en mal), sans doute à l'occasion de la sortie de son livre (Éditions Payot & Rivages): Pacific Agony. Et puis, parcourant Le Monde des Livres de la semaine dernière, je le retrouve qui me fait de l'œil, après avoir séduit Josyane Savigneau qui lui consacre son coup de cœur hebdomadaire et m'en chante les vertus fortes, me le souligne "héros d'un voyage burlesque" et me le vante auteur d'une "désopilante plongée dans le cauchemar américain". Qui me le vend en quelque sorte! Achat presque immédiat:17€. Traduit de l'anglais (États-Unis) par Josée Kamoun, d'ailleurs dûment remerciée - au premier rang d'une dizaine de bénéficiaires, et bon sang, toute lecture bue, elle le mérite! - en dernière page.

On connaît le mot de Jules Renard: "N'écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, il se garda d'intervenir"
Et bien là, non, n'écoutant que mon courage ... qui me disait de continuer, j'ai tout lu, vaillamment. Assez péniblement pour tout dire. Pas bien long pourtant: cent cinquante-huit pages.

Il me semble probable que le bouquin est d'autant plus comestible, digeste, voire accrocheur, qu'on connaît mieux cette région de l'extrême Nord-Ouest des États-Unis où il déroule son action, comme on s'enchante de lire des médiocrités (ou des prises de position tranchées, au fond peu importe) relatives à un coin dont on sait les recoins, dont on retrouve encensées ou caricaturées les arcanes, dont on voit caressés, fût-ce à rebrousse-poil, les souvenirs. Un roman d'intérêt local, en quelque sorte, pour autochtones, pour natifs ou pour initiés.
Hélas (?) de l'Oregon, de l'état de Washington ou des chutes de la Willamette, je n'ai jamais rien su et je ne savais rien. Alors? Pas de quoi s'en vanter, j'en conviens, mais pas de quoi non plus pénétrer de plain-pied dans cette "Chronique d'un voyage imaginaire sur les rives du Pacifique Nord" - c'est le sous-titre.

Benderson part dans tous les sens, c'est à dire finalement - et comme on l'exprime sans doute virilement dans les milieux qu'il se plaît à fréquenter - "en couilles"! J'ai eu du mal à suivre. Son héros, Réginald Fortiphton, discrètement pédophile - avec quand même quelque temps de prison et nettement plus longtemps de bracelet électronique! - est adepte assidu des cachets de morphine et d'une homosexualité contestataire qui prend au besoin ses sources dans la recension de légendes indigènes. Ainsi de celle des indiens Quileutes qui affirme que "le grand maître des métamorphoses" a décrété comme punition méritée du castor l'introduction "d'une pagaie dans sa région anale", ce qui, là ou d'autres adoucissent leurs invites sexuelles en proposant par exemple de "faire Cattleya", conduit l'émérite Fortiphton à accéder de bonne grâce à la requête d'un partenaire d'occasion lui suggérant de lui infliger "la punition du castor".

Une confuse histoire de complot crypto-anarcho-révolutionnaire fait de Fortiphton le mandataire manipulé d'un périple déguisé en découverte touristique "distanciée et critique" des régions déjà citées qui s'étendent à l'ouest des États-Unis, dans une bande côtière (Océan Pacifique) que délimite à l'Est la Chaîne des Cascades et qui descend du Canada vers la Californie. Les étapes de ce voyage vaguement initiatique, qui s'affirme déjanté et se proclame drôle, se dénomment, dans l'ordre prévu d'un circuit Nord-Sud / Sud-Nord: Seattle, Portland, Eugène, puis, en remontant, Oregon City (quasi banlieue sud de Portland; www.viamichelin.com annonce de centre à centre moins d'une demi-heure d'automobile), Portland même (de nouveau), Astoria (on part nord-ouest, vers la côte, à l'embouchure de la rivière Columbia), Aberdeen (on se réoriente nord-est), Port Angeles (plein nord, on arrive sur la côte américaine du détroit qui sépare les USA de la côte sud de l'île de Vancouver (Canada), enfin La Push (on repart à l'ouest pour rejoindre la côte pacifique et le territoire des Quileutes aux suggestives légendes).

Resuçant d'incertains fantasmes, réfrénant (ou pas) d'assez aléatoires pulsions, méditant de divaguantes méditations qui pourraient s'apparenter à une nostalgie rousseauiste pleine de sauvages de préférence plus libidineux que bons, se livrant entre deux vins (et trois cachets de substances illégales) à quelques variations autour du concept de pratique homosexuelle, Fortiphton s'essaie au sarcasme pour décrire les épouvantables méfaits du progrès industriel puis (high)technologique sur les relations inter-humaines comme sur le dialogue perdu de l'homme avec la nature .... Et je ne marche pas!

Il y a, dans la construction du roman, une petite sophistication qui est potentiellement drôle. On a confié la préparation, l'organisation et le suivi du périple Fortiphtonien à une prétendue Narcissa Whitman Applegate, membre de la Willamette-Columbia Historical Legion, et du Daughters of the Oregon Trail Historical Comittee, tous titres qui déjà la ciblent a priori comme dragon local défenseur des valeurs historico-touristiques de la région, chantre de ses développements multiformes et esprit fermé à toute envolée libertaire, peace and lovesque et imbibée. Et cette dame Whitman accompagne de notes infrapaginales outrées les fantaisies narratives et les réflexions très politiquement incorrectes qui jalonnent le manuscrit effarant transmis par l'énergumène dont elle a préparé l’envol...

Tout cela pourrait faire un cocktail roboratif et décapant. Las, le sentiment dominant (le mien!) est celui d'un auteur qui a de l'ambition, qui a eu des idées, mais qui s'est trouvé dépourvu des moyens qui devaient aller avec pour que prenne la mayonnaise. J'ai souri, ici ou là (sur Kurt Cobain, dont j'ai quelque part un enregistrement unplugged intéressant) mais globalement, c'est lourd, et raté. Arc-bouté sur ses rames, l'auteur produit son effort, il est à la peine, et nous... de même. Pacific Agony? Un peu la nôtre, hélas aussi....

Avec, je le redis, cette réserve: une bonne connaissance - et que je ne maîtrise pas du tout ou beaucoup trop insuffisamment - de la géographie et de l'histoire locales comme de la sous-culture et des mouvements underground qui traversent ou ont traversé la jeunesse américaine au long de ces quarante dernières années est peut-être un (le?) levier avec lequel hausser le livre à la hauteur où j'ai entendu (lu) ses thuriféraires le porter. Peut-être. On ne doit jamais trop affirmer. Toutefois ....

On l'aura compris, Bruce Benderson, qui ne me comptait pas à ce jour parmi ses lecteurs ne va pas avec moi et sur cette première tentative grossir ses troupes. Une deuxième chance? Pour le moment.... Et je repense à Antoine Compagnon qui dans son point de vue du Monde du 30/11 dernier affirmait que "les Français préfèrent lire des romans américains épiques", ce qu'assurément celui-ci passe pour être ... Comme le clamait fort le Cyrano de Rostand, sur ce coup: "Non merci!".

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