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AutreMonde
17 octobre 2006

Carte Scolaire

Pour le lecteur du Monde, l’affaire a pris du volume avec le numéro daté du 9/9 et une « contribution » de François Dubet / Marie Duru-Bellat, en page Débats : «Carte Scolaire – La fin d’un tabou»… Où le problème est d’entrée posé à côté de la question. Car comment et pourquoi s’est installée cette notion «d’établissement difficile» à partir de laquelle désormais on raisonne, comme à partir d’un donné intangible - ou peu s’en faut - ?

On avait autrefois des lycées «Papillon». Et on daubait, en chansons, là dessus :

Elève Labélure ? ... Présent !
Vous êtes premier en histoir' de France ?
Eh bien, parlez-moi d'Vercingétorix
Quelle fut sa vie ? sa mort ? sa naissance ?
Répondez-moi bien ... et vous aurez dix.

Monsieur l'Inspecteur,
Je sais tout ça par cœur :

Vercingétorix né sous Louis-Philippe
Battit les Chinois un soir à Ronc'vaux
C'est lui qui lança la mode des slip...es
Et mourut pour ça sur un échafaud.

Le sujet est neuf,
Bravo, vous aurez neuf.

Etc. Avec ce glorieux refrain :

On n'est pas des imbéciles
On a mêm' de l'instruction
Au lycée Pa-pa...
Au lycée Pa-pil...
Au lycée Papillon.

La chanson est de 1936. Paroles de Georgius (qui l’interprétait) et musique de Juel. Elle faisait rire le Front Populaire et a survécu à la guerre puisque ma génération l’entendait encore sur Paris-Inter au début des années 50. Souvenirs lointains (et sans doute embellis), le dimanche matin à Pessac, Gironde, assis sur ma petite chaise, soigneusement emmitouflé, à écouter la radio qui crachotait, tendant l’oreille pour n’en rien perdre entre deux passages de train, au fond du petit pavillon accoté au talus de la voie ferrée où j’ai vécu ma scolarité primaire, dans l’inconfort des hivers sans chauffage et la chaleur d’une famille unie. Passons.

Ces « hénaurmités » potaches ont disparu, au profit (au profit ?) de l’affrontement déséquilibré d’enseignants dépassés et de gamins violents, peut-être socialement comme subliminalement désespérés, peut-être, mais parfois assurément et explicitement dangereux. Comment s’est-on laissé glisser jusque-là et que vaut, dans ce contexte, le recours – rejet – discours à / de / sur la Carte Scolaire ?

On avait dans le même numéro un papier - (Politique & Société) : Principaux et proviseurs exigent plus de clarté sur leurs missions – qui répondait au fond indirectement à ma question. On y lisait, derrière la dénonciation – probablement justifiée – de leurs «conditions de travail inacceptables», les chefs d’établissements soulignant eux-mêmes le problème majeur du système éducatif : l’inadaptation absolue de la « gouvernance » des établissements aux évolutions de fait de leurs responsabilités et l’inadéquation résolue aux remises en question nécessaires de ceux qui ont ladite « gouvernance » en charge. L’éducation nationale est malade de ses cadres. C’est un truisme, une évidence, un diagnostic plié, connu, indiscutable et … soigneusement occulté, car la maladie fait moins peur que le remède : rasons les murs, faisons semblant, mais ne remettons pas tout en question ! Alors, en avant la langue de bois, syndicale et ministérielle. Etc.

Le problème n’est pas dans la carte scolaire, il est dans le pilotage des établissements, dans le concept avorté / détourné / émasculé de projet pédagogique local, dans le refus de donner aux équipes les moyens de courir le risque de l’autonomie, dans le mépris d’une hiérarchie tatillonne, pusillanime et jacobine, pour le principe de subsidiarité, mépris qui s’appuie sur l’aveuglement disciplinaire, au déni de leur expérience quotidienne, d’enseignants qui refusent de comprendre que l’ouverture aux savoirs ne peut plus s’approcher dans la seule sectorisation de leurs propres compétences universitaires et le confort qu’ils s’imaginent pouvoir y préserver.

Les meilleurs (?) spécialistes s’y trompent. Un mois après les « papiers » ci-dessus cités, et l’annonce par Dominique de Villepin qu’il chargeait (dans le flou le plus complet !) Gilles de Robien «d’ouvrir une concertation» sur l’affaire, Le Monde des 8/9 Octobre nous offre un « Grand Entretien » avec Marco Oberti, sociologue, chercheur au CNRS, auteur de « L’Ecole dans la ville » (Presses de Sciences Po – à paraître) : Le jeu faussé de la carte scolaire. On remet le couvert. L’entretien est mené par Brigitte Perucca et Maryline Baumard, qui « fonctionnent » (et la première comme rédactrice en chef) au Monde de l’Education .

L'article est intéressant. Mais l'approche de Marco Oberti est extrêmement incomplète. Chercheur, sa démarche statistico-sociologique occulte entièrement le problème de la qualité des maîtres, des équipes pédagogiques, du management et de l'autonomie des établissements.
Parler, après tant d’autres et pour revalorisation des établissements «désertés», d'options attractives autant que d'activités de soutien n'a de sens qu'en termes de qualité des contenus. Et la qualité des contenus, c'est essentiellement celle des enseignants qui s'en chargent, c'est l'état d'esprit qui règne dans l'établissement, c'est le mode de fonctionnement des équipes qui "suivent" (devraient ...) les rapports de l'élève à l'effort et au travail, etc...

Une reprise en main du processus éducatif n'est envisageable qu'à travers un ressaisissement de l'ensemble des personnels. Et ceci ne peut être de surface. L’enseignement privé séduit sur un contresens. Marco Oberti le propulse sans discussion dans ce qu'il nomme un «segment d'excellence». En fait, c'est le maintien d'un cadre de comportement que l’enseignement public a abandonné qui produit l'illusion de la réussite d'une démarche de formation de l'esprit qui n'en est pas moins exclusive d'apprentissages qui doivent être «de masse et de qualité». L'excellence évoquée est une excellence en termes de "marché", pas en termes de reconquête des intelligences.

Au fond, parler de «lutte contre l'échec scolaire» est une ânerie, ou plutôt, c'est l'aveu d'une politique essentiellement fondée sur l'idée de conservation: conservation des méthodes héritées qu'on constate chaque jour dépassées et qu'on veut néanmoins maintenir en «aidant» ceux qui ne parviennent pas à s'y adapter. Cette incapacité à concevoir que c'est le système qu'il faut entièrement repenser conduit à des efforts ineptes pour transformer (sans penser) les élèves, avec ce maître mot sacralisé : Soutien !

Marco Oberti a raison de réclamer un renouvellement de l'offre, sauf qu'il le pose en termes consuméristes («Si l'on veut de la mixité, il faut que l'offre elle-même soit mixte et alléchante»), quand il ne faut pas le poser en termes d'offre mais de choix. L'Éducation Nationale ne sait pas où elle va. Alors ? Elle essaie de filer sur son erre en tâchant, dans l'affolement - jusqu'à l'excès des Brighelli, Lafforgue et consorts -, de garder dans son sillage ceux qui pourtant, par l'effondrement même de ses efforts, lui prouvent qu'elle doit changer de direction.

Une piste excellente quand même, il était temps, en fin d'entretien: la notion d'élargissement au niveau du bassin scolaire de la réflexion éducative, «en fonction des populations qui vivent sur ce territoire». Au début des années 80, l'inspection pédagogique régionale de Montpellier, sous l’impulsion d’un doyen un peu atypique, a essayé de mettre en route une démarche rectorale (Jacques Vaudiaux, recyclé ensuite à l'IGAENR, était recteur) fondée sur ce concept, alors baptisé «formation par aires pédagogiques». Le département de Géographie de l’Université Paul Sabatier (pour la définition des aires/bassins) et la feue MAFPEN (Mission Académique à la Formation des Personnels de l’Education Nationale) avaient esquissé un mouvement d'appui, le corps des IPR avait commencé une réflexion transversale sur les possibilités d’un fonctionnement pédagogique adapté (et envisageable) de réseaux d'établissements.... L’affaire n’a pas survécu, comme souvent hors l’impulsion de l'initiateur d'une procédure lourde, au départ «pour d’autres aventures» du doyen évoqué …

Oui, on fait beaucoup fausse route sur ces questions de Carte Scolaire. Et je doute que nos candidats 2007 y voient plus clair ... Changer l'école - qui serait le seul programme raisonnable en politique intérieure -, c'est une prospective à 15 ans. Quel politicien sacrificiel en est capable? Nous sommes sans doute condamnés à attendre le pire, puis le prochain mai explosif, en le souhaitant plus productif que le précédent, en 68, dont on dit trop de mal parce qu'on n'a pas su en gérer, au delà de l'agacement, les fort raisonnablement irréalistes espérances.

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