Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
26 septembre 2006

Deux enfances ....

Je n’avais pas eu le temps jusqu’ici de lire le dernier Philip Roth, “Complot contre l’Amérique” (The Plot against America - Chez Julliard - 22 € ). Le livre est sorti en mai, dans la traduction de Josée Kamoun. Il y a une vingtaine d’années, nous nous sommes trouvés, elle et moi, sans échanger plus de deux phrases à l’époque, collègues à Henri IV. J’ai appris sur la fin, quasiment la veille d’une réorientation de carrière vers l’université, qu’elle était la traductrice de John Irving et du coup, depuis, c’est avec ce piment de curiosité supplémentaire que j’attends les sorties anglo-saxonnes sur lesquelles elle a travaillé. La source Irving semble tarie, et c’est Roth qui a pris la relève. Le résultat est ici formidable. Que se serait-il passé si... si Vercingétorix n’avait pas été vaincu à Alésia, si Waterloo avait été une victoire, etc.? Réécriture de l’Histoire, voilà le principe de l’uchronie, nom savant pour ce régal d’imagination que peut être la réinvention du passé. Et là, nous y sommes. Et là ce n’est donc pas Franklin Delano Roosevelt qui entame, en 1941, son troisième mandat de président des États-Unis d’Amérique, c’est Charles Lindbergh, l’archange aux commandes du Spirit of Saint-Louis, qui se saisit du pouvoir en héraut de l’isolationnisme et dans la lourde ambiguïté des conséquences à venir de sa relation privilégiée avec l’Allemagne nazie, ouvrant son pays à l’antisémitisme. Et la famille Roth se retrouve plongée dans les convulsions douloureuses d’un virtuel inattendu, que l’on lit comme vrai, narré, soixante ans après, par le petit Philip, alors âgé de sept ans. Formidable peinture d'une tranche d'enfance dans un contexte remué, formidable peinture d'un groupe familial formidablement attachant et diversifié autour des deux figures sanctifiées du père et de la mère. Quel autre adjectif et quel autre adverbe? L’uchronie elle-même, oui, bien sûr, l’uchronie... On y croit, on y est (au point que le Post-Scriptum de l’ouvrage, qui recadre et ré-ancre l’Histoire dans sa chronologie réelle est plus que bien venu), mais il me semble que c’est l’invention enfantine, l’invention de l’enfance qui prime. C’est un régal. Roth est un conteur d’exception et ses portraits comme ses tableaux de genre touchent souvent à l’anthologie. Soyons honnêtes, j'ai eu un petit fléchissement sur la fin, après la pseudo-disparition de Lindbergh dans l'Atlantique (Roth n’a pas osé modifier l’issue de la seconde guerre mondiale). Une impression de chapitre en trop. Et puis demeure une vraie difficulté: comment, par la description d'un milieu qui reste malgré tout fermé sur ses frilosités - ici par exemple la réaction instinctive de la mère du narrateur face à la perspective d'un transfert dans le Kentucky où elle n'aurait à fréquenter que "des non-juives" - , comment, donc, éviter le risque d'induire subliminalement les réactions de rejet que l'on dénonce?. Caricaturalement posée, la question devient : Y a-t-il une ouverture à l'antisémitisme chez Roth lui-même? Ce problème, qui s'attache à tous les communautarismes, est très difficile à gérer. La nuance est infime entre la chaleur émouvante et porteuse qui émane de l'appartenance à un groupe et le repli destructeur sur cette seule source d'échange et de dialogue. Aimer, chanter même, son folklore sans y être inféodé ne relève pas de l'évidence. Voilà aussi qui devrait s'apprendre à l'école. Mais c'est un autre sujet... et puis, pour Roth, je pousse peut-être le bouchon un peu loin. Un sentiment, probablement injuste, au détour d’une phrase ... Sans transition ou presque, en reposant le “Complot contre l’Amérique”, gros bouquin, je remarque, tombé là au hasard de quelque vaine entreprise d’époussetage plutôt que volontairement abandonné, derrière une pile d’achats récents, à lire (!), un petit livre mince, collection folio, aux couleurs vives. C’est un Thomas Bernhard, “Un enfant”. Il est dix-sept heures et je suis libre ... Et ça se lit en une soirée. Je ne retrouve pas le style hypnotique que j’ai tant aimé dans “Le naufragé”, ou “Extinction” ou “Maîtres anciens”, ni cette méchanceté au scalpel qui fait mes délices. Déçu alors? Pas entièrement, et le thème est touchant, de ce parcours cruel d’enfant, qui a tant besoin de reconnaissance et que le désespoir de sa mère caresse au nerf de bœuf. Une expression minimaliste, quelques incertitudes sémantiques ou grammaticales qui font craindre des aléas de traduction, et l’anarchisme attachant mais imparfaitement roboratif du grand-père quand on revient de l’école, les doigts enflés de coups de règle. Un Thomas Bernhard qui se cherche et qui, malgré tout, nous trouve. Étonnant, le rapprochement fortuit de ces deux enfances, la virtuelle, chaleureuse et haute en couleur malgré la peur qui monte dans la fausse Amérique de Lindbergh et l’autre, l’autrichienne, dans le Jungvolk honni, regroupement hitlérien de la “jeune génération”. Avec dans les deux cas cette certitude, qu’on ne peut échapper à ses commencements et que c’est bien cela, le drame de l’adulte: avoir d’abord dû être enfant.
Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité