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AutreMonde
19 septembre 2006

Walt Disney à l’IUFM ….

Retour de mes non-travaux d’été, j’avais trouvé (et lu) ceci dans le bloc-notes de Philippe Meirieu (www.meirieu.com) , qui se plaignait de la pléthore médiocrisante (il faut oser !) des livres de profs encombrant la rentrée « littéraire » :

« Reste, dans cette production (…) de la vraie littérature : le dernier livre de Jeanne Bénameur, Présent ? (Éditions Denoël). Si vous n'aviez qu'un roman à lire, ce serait celui-là. Jeanne Bénameur a vécu dans un collège plusieurs mois pour écrire ce livre (elle avait enseigné, auparavant, de nombreuses années dans des classes difficiles). Le livre raconte la journée d'une classe de troisième, une journée presque ordinaire, si ce n'est qu'elle qui se termine par un conseil de classe pour le moins surprenant. Avec une écriture superbe - ascétique, comme à son accoutumée - l'auteure suit les professeurs, les élèves, la principale, le personnel, mais aussi certains parents tout au long de cette journée. Des destins se jouent, se croisent. Une aventure se noue : démission, redoublement, émeute... Mais, au coeur de la tourmente, « la liberté de désirer est entrée dans les poitrines ». Pas de concession, pas de compassion : un regard humain simplement, qui fait face à la dureté des choses et sait saisir la vie dans les anfractuosités du quotidien. L'essentiel. Ce livre devrait être conseillé dans tous les IUFM et utilisé dans tous les stages de formation continue. En attendant, vous pouvez toujours le lire et le faire connaître... »

Enthousiaste le pédagogue, non ? Mais comme il convient d’aller juger par soi-même ….

J’ai donc acheté le Jeanne Bénameur. Il m’en a coûté 16 euros. Et puis, je l’ai lu. Réticent au début (c’est très bien écrit, mais dans un style un peu… appliqué, qui veut dégager sa forme et s’y tenir), je me suis assez vite intéressé à ce qui est – définitivement et à rebours de ce que pourrait faire croire la présentation de Meirieu – une jolie fable pleine de bons sentiments, à cent lieues du réel des collèges, un conte de fées, dans le fantasme ouaté des happy-end programmées, où les yeux pleins de larmes s’empliront des étoiles de l’espoir, où le vilain petit canard verra s’ouvrir à lui l’enchantement des avenirs inespérés, où …….

Meirieu aime rêver et ce bouquin, c’est Blanche-Neige et les sept nains…. Je ne vais pas bouder mon plaisir. Il a fait assez beau sur mon balcon, pour les trois ou quatre heures de lecture étalées sur deux ou trois jours que « Présent ? » m’y a données, et je me suis laissé agréablement aller à sa musique, à suivre la gamine mutique du fond de classe, toujours dessinant, à suivre son amoureux transi de délégué de troisième, affublé à son cœur défendant d’un père boucher vaguement FN, à suivre la principale qui voudrait tant mieux faire, qui aurait tant voulu une vie plus remplie d’amour et n’a pas su « se lâcher », ou la jolie petite prof de SVT débutante qui pleure son amoureux de week-end, trop loin dans la semaine et « ne tient pas ses classes », ou le factotum plein de bon sens et d’humanité tendre, toujours, malgré le temps qui passe, si aimant pour sa femme, etc.
Pas tout à fait du Delly , car la forme est réussie, mais pas si loin dans l’esquisse sentimentale et la mièvrerie philosophique qui va avec.

Alors, conseiller ça dans les IUFM, c’est quand même prendre les gens pour des billes, ou les vessies pour des lanternes. C’est n’être jamais rentré dans le vrai d’une année scolaire en collège ZEP . C’est plus probablement être Philippe Meirieu. Car son jugement, porté sur ce bouquin, quand on sait ce qu’est la réalité ici transfigurée, éclaire formidablement sur le fonctionnement intellectuel et les prises de conscience de ce théoricien de l’acte pédagogique. On comprend soudain que Meirieu rêve ce qu’il projette, rêve ce qu’il vit, et probablement – car il n’est pas totalement sans avoir enseigné - s’aveugle en toute bonne foi (et sans doute par excès d’humilité) sur ce que pourrait être l’enseignement de ses attentes, quand bien même il est confronté à l’impossibilité absolue devant laquelle son expérience, et celle d’autres, le mettent d’en voir un jour le début de l’émergence. L’utopie est son quotidien. Le réel, son refus. Tout échec n’est que son échec. Animé d’une sorte de sainteté pédagogique, il écarte l’idée que l’élève soit inéducable et dit « pardon, je ne sais pas, moi, l’éduquer ». Terrible position. Meirieu est empathique. Il est en empathie avec tout le monde, avec le voyou qui le piétine comme avec le praticien qui le contredit. L’autre a toujours non seulement ses raisons, mais peut-être même, dans un doute immédiat qui le fait vaciller, raison . Ensuite il réfléchit et intègre à son rêve éternellement poursuivi, sans pouvoir s’en extraire ni le retoucher, ce fléchissement de l’instant où il se sera vu rater un cours, être désarçonné par un argument contraire. Meirieu est au fond un pur, mais de type tendre. Voilà ce qu’il nous fait comprendre, par son attendrissement pour Bénameur
Son rêve n’est pas inutile, au moins pour lui, il le soutient. Mais il ne sert à rien de chercher à l’appliquer. Acceptons qu’il en fasse rêver d’autres, qui lui ressemblent. Le moins possible quand même, si on veut avancer. Car ce rêve, c’est le brouillard où tâtonne le pédagogisme, plein de bons sentiments généreux et d’inefficacité garantie. L’élève, comme l’homme, y est fondamentalement bon. Il ne demande qu’à travailler, qu’à apprendre pour s’épanouir. L’affirmation est constamment battue en brèche, dès le seuil de la classe franchi ? C’est qu’on s’y prend bien mal !
Ah ! l’entêtement des idéalistes…..

Philippe Meirieu se réfère in fine à Bégaudeau ("Entre les murs" . Très, très recommandé, indispensable même. Editions Verticales. 16 euros aussi !). Mais "Présent?", c’est l’anti-Bégaudeau. Bégaudeau met de l’humour et de la distance sur du vrai. Bénameur nous raconte Alice au pays des merveilles. Ou encore, son collège – laissons Lewis Caroll pour Clives Staples Lewis - c’est Narnia. Régressons gentiment, nous avons de nouveau douze ou treize ans, nous entrons dans l’armoire magique, nous écartons les manteaux, ça y est, nous y sommes, la neige crisse sous nos pas, nous allons faire semblant d’être adultes et vivre la belle aventure du collège enchanté …. Ensuite, on s’endormira en se repassant la bande son des « Choristes » ….

Vous voulez oublier le quotidien, vous détendre quelques heures dans un monde parallèle et plutôt bien écrit ? Soit. Lisez Bénameur.
Enseignants, vous reconnaissez, dans ce que vous lisez, ce que vous vivez au collège? Désolé. Consultez d’urgence !

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