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AutreMonde
27 juin 2006

Une semaine ailleurs ....

Un mien camarade de promotion, au terme d’une carrière fort réussie dans le BTP, a la bonté retraitée de garantir, aux beaux jours, quelques vacances ensoleillées à certains de ceux qui, ayant partagé sa chambrée (on parlait alors de « casert ») du temps de leurs communes études d’ingénieur, sont devenus nécessiteux par défaut de saine exploitation d’un diplôme pourtant prestigieux, modestement réinvesti à l’ombre d’un service public…

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés, la semaine passée, sur amicale invitation, dans une belle villa de la presqu’île de Giens, terrasse dominant la mer, vue imprenable – pour ceux qui connaissent – sur le petit et le grand Ribaut, esquifs divers croisant au large, épouses prenant des photos et la nécessité de ne rien faire, si possible intelligemment.
Le « ne rien faire » prend hélas facilement le pas sur « l’intelligemment ». La lecture se ralentit quand l’ensoleillement augmente, le Monde – outre qu’il devient aléatoire de se le procurer en ces lieux éloignés de villégiature – est moins bien lu, la réflexion s’enraye, le bloc-notes glisse des mains comme le menton tombe sur la poitrine, on s’assoupit au bruit des cigales en se plaisant à penser qu’on va écrire un éloge de la somnolence. Et avec ça, on rate, le 21, en ses excès latino-pratins, la fête de la musique …

Mais tout a une fin, et le TGV Hyères-Paris du 24 (départ 11h08 – arrivée 15h38) nous restitue au ciel chargé de nuages de l’Île de France en même temps – boulevard Saint-Michel oblige - qu’à l ‘ambiance carnavalesque de la Gay Pride. Paillettes et strings sur fesses musculeuses. Il faut s’y faire. C’est bruyant et assez pénible, mais il ne sert à rien de regimber. Sans doute trop longtemps contenue, l’homosexualité se répand à pleins bords comme un champagne secoué dont on a fait sauter le bouchon, et nous payons en affichages superflus des années de puritanisme contraint. L’alcôve clame à grand renfort de décibels sa largeur d’esprit dans la rue, toutes fornications revendiquées, au nom du principe sacré de la jouissance sans entraves, sans limites et sans tabous. La fierté homosexuelle s’impose aux hétéros honteux et, pour traverser le défilé – aventure nécessaire quand, résidant côté des numéros impairs du Boul’mich, on veut faire son ravitaillement de retour au petit Franprix du début de la rue de Vaugirard –, on lâche discrètement la main de sa femme, sacrifiant la tendresse conjugale au principe de précaution et au syndrome du vilain petit canard.
Et puis le bureau retrouve ses droits, avec les coupures de presse – Le Monde - de la semaine étalées devant soi et l’idée de se remettre dans le sens de l’actualité, sinon de l’histoire, en regardant un peu tout ce qu’on a négligé.

Dimanche 17-Lundi 18 : Cette pauvre Ségolène, entartée vendredi 16 à La Rochelle, a droit à un petit entrefilet: «Mme Royal a pris la chose à la rigolade». Soit. Côté UMP, c’est le bien nommé Jean-Louis Christ, député-maire de Ribeauvillé de son état, qui pétitionne pour le mariage des prêtres. Le curé du patelin vient de se pendre pour mise en cause dans une histoire de réseau pédophile, après lui avoir laissé une lettre. Que commenter ? Ces affaires de curés pédophiles ou supposés tels sont affligeantes. Je préférais le temps – dans mon souvenir, moins malsain - des grasses plaisanteries de mon enfance, quand nous lancions : «Si les soutanes étaient en bronze, les cloches tinteraient souvent»… Mais la conclusion est la même et, fût-il prénommé Jean-Louis, le Christ en question est dans le vrai, sans doute. Encore que …
Un long et très intéressant entretien avec Georges Pelouzis, prof de sociologie à Bordeaux-II, sur «La grande pagaille des diplômes». Je crois qu’il a tout à fait raison de plaider pour la délivrance de diplômes d’université et l’abandon du diplôme national «qui est un leurre». Il a par contre tort de défendre le baccalauréat sous sa forme présente d’examen terminal. La suppression de celui-ci me semble désormais indispensable en l’état. Mais cela suppose un remodelage complet de la formation initiale. J’en ai déjà plusieurs fois parlé … J’y reviendrai sans doute.

Mardi 20 : À propos du problème industriel des retards de l’Airbus 380, il y a un point de vue de l’ancien président de Supélec, Bernard Lorimy, qui me semble très pertinent, d’autant que le jugement qu’il porte recoupe entièrement un défaut majeur de la structure «d’informations remontantes» du système éducatif. Il énonce : «Les retards de production sont dus à l’optimisme factice pratiqué à chacun des échelons». On transpose et on se retrouve avec une cause patente de l’incapacité de l’éducation nationale à se saisir des problèmes réels: la dissimulation hiérarchisée y est la règle. Lorimy : «Chacun minimise les ennuis rencontrés et fait remonter une vision embellie des jalons dont il est responsable». Exactement. À la fin, EADS et Airbus sont en crise… et le système éducatif va dans le mur !

Deux pages (22 – 23) fort déplaisantes sur «La firme Sarkozy». Pas du tout sympathique, tout ça ! Non seulement la «firme» (au sens d’entreprise totalitaire de John Grisham : best-seller, d’ailleurs excellent, et bon film ensuite avec Tom Cruise en vedette), mais aussi – et anagrammatiquement - la «frime», qui m’agace au plus haut point : «Lunettes de soleil, costumes Ralph Lauren, téléphone portable dernière génération …». Les cons ! Et ensuite, on s’insurge contre l’impact des «marques» sur les jeunes . Ne pas céder à l’irritation pour juger. Ouais. Mais quand même …

Et puis la bêtise humaine, tantôt monstrueuse, tantôt ridicule. Elle exsude à travers quelques photos. Dans l’horreur en page 6, où l’on voit, largement dévêtu, bras en croix dans une mare de sang, «le chef indépendantiste tchétchène Sadoulaev tué et déposé aux pieds du prorusse Kadyrov». Atroce mise en scène. Dans la dérision en page 17, où sourit au bonheur dollarisé – j’ignore son âge, mais il a largement celui d’être au minimum son père – Rupert Murdoch aux côtés de sa jolie jeune femme Wendi Deng, dont il serait n’est-ce pas malséant d’insinuer qu’elle pourrait être là pour une autre cause qu’une irrépressible passion.

En page 13, un crétin probablement fort peu scolarisé se vante de transformer en fauve une malheureuse chienne qu’il rend folle d’agressivité en la cloîtrant sur son balcon . Il la maltraite et ne lui a appris que deux mots (peut-être n’en connaît-il lui-même guère d’autres): «Chope» et «Tue». Je continue à croire que c’est en quelque sorte le «défaut d’école» qui permet à de telles conneries de culminer. On n’a pas appris à ce type à «penser». C’est comme cela qu’on retrouve aussi les comportements de la page 6 ci-dessus évoquée.

Mercredi 21 : Jacques Chirac rend hommage aux «peuples humiliés et méprisés». Titre de première page. L’inauguration du Musée du Quai Branly est une nouvelle fois l’occasion d’un discours officiel qui vise à condamner les errements passés en se gardant bien de réfléchir à la qualité des comportements présents. Eternelle attitude des politiques. Seul le quotidien est difficile et c’est pourquoi il n’est pas affronté. Hier nous fûmes odieux et demain nous serons héroïques. Quant à aujourd’hui ….
L’insupportable Jack Lang est en page 11 et je ne comprends pas son (relatif) succès auprès de l’opinion. Il dégoulinait de courtisanerie sous Mitterrand, il continue à se répandre en satisfaction de soi et je ne vois chez lui aucun signe de sincérité active. Injuste peut-être, trop subjectif, mais il me donne de l’acné ….
En page 12, «La première promotion ZEP de Sciences Po témoigne du succès de l’expérience». L’article ne m’apprend pas grand-chose. Cette affaire est une fumisterie. Le talent, comme toute aptitude, est à peu près également réparti. Un système éducatif repensé et équilibré le ferait naturellement s’épanouir dans les beaux quartiers comme au fin fond du « 9-3 », sans effets de manche. Ici, on ne veut pas repenser le système et donc on patrouille, pour dénicher dans des établissements scolaires inadaptés qu’on abandonne à leur triste sort, quelques spécimens sur lesquels bâtir l’affirmation flatteuse d’un effort de lutte contre l’injustice sociale. Tout ça est lamentable. On va transformer bientôt en animaux de cirque des jeunes gens parfaitement normaux qu’une saine révision générale des formations initiales aurait fait naturellement émerger de l’ensemble d’une population scolaire que ladite révision aurait par ailleurs rendue à des parcours individuels réussis, épanouis, optimaux au lieu de l’absurde auto-déscolarisation actuelle.
Mais ne nous énervons pas… D’ailleurs, un peu plus loin, on me dit que le «Qi gong» est là, pratique ancestrale de la médecine chinoise qui travaille sur le souffle et l’énergie, pour améliorer mon équilibre et ma qualité de vie. Alors, pourquoi céder à des poussées d’adrénaline devant la photo de Jack Lang ou la frime de Richard Descoings, le médiatique directeur de Sciences Po, alors qu’à raison de quinze minutes par jour, je vais agir sur mes méridiens énergétiques et trouver l’équilibre entre le yin et le yang ? Et vive la crédulité anti-stress à 15 euros la séance ?

Jeudi 22 : Rien ! On aura l’explication dans le numéro du lendemain … «en raison d’un mouvement social provoqué par la mise en place des accords de modernisation de notre imprimerie d’Ivry-sur-Seine (…) l’édition n’a pu ni paraître ni être diffusée». Et www.lemonde.fr? Las, je n’avais pas d’accès internet sous les pins parasols, les doigts de pied en éventail au bord de la grande bleue… C’est comme pour «Boire ou Conduire», il faut choisir !

Vendredi 23 : Il n’y en a que pour ma copine Ségolène, photographiée en première page et en pleine action mardi 20, au gymnase Jean-Jaurès, Paris 19-ème arrdt, avec les adhérents du PS. Longue interview en page intérieure. Je ne la «sens» pas complètement sur l’éducatif, malgré tout. Dommage.
On me dit plus loin que «le nombre de très riches a crû de 500 000 dans le monde en 2006». Je me demande quelquefois si le vrai slogan de gauche ne devrait pas être : «À défaut d’enrichir les pauvres, au moins appauvrir les riches». Cela aurait en tout cas l’avantage de la moralité. Mais les hommes ne souhaitent pas supprimer les privilèges, ils veulent seulement en bénéficier et ils ne se plaignent d’être opprimés que dans l’espoir de devenir oppresseurs. Beaucoup de réussites ont des relents de trahison.
Pour une fois, page 27, je suis d’accord avec la supériorité du « choc des photos» sur le «poids des mots»…. Parallèle fascinant entre deux clichés : une douzaine d’employés noirs d’une entreprise de Lumumbashi (Haut Katanga – 1926) alignés nus contre un mur de briques, décharnés, quasi « concentrationnaires », et, confortablement installés dans les fauteuils de leur Cercle, devisant ou lisant en une minute de détente luxueuse, leurs cadres européens accompagnés d’épouses. Qu’ajouter sur l’ignominie d’un tel fossé social ? Mais, puisque j’en disais deux mots amicaux à mon hôte, accoudés que nous étions dans le petit matin frais à la balustrade d’une terrasse donnant sur la mer, attendant le réveil des compagnes pour le petit déjeuner copieux et varié dressé par avance sur la longue table derrière nous, à quoi sert-il de larmoyer nos larmes de crocodiles si nous ne savons pas jusqu’où nous serions prêts à voir s’effondrer notre niveau de vie pour permettre à celui des autres d’atteindre à davantage de dignité ? Après quoi nous nous sommes repus dans la plus totale immoralité. Le bonheur est aussi un scandale.

Samedi 24 : «Assia Djebar entre en noir sous les ors de l’Académie». Élue le 16 juin 2005 au fauteuil laissé vacant par la mort de Georges Vedel – je n’avais pas outre mesure fait attention à l’époque – l’auteur (cette fois-ci, nous voilà dispensés du calamiteux l’auteure !) de Femmes d’Alger dans leur appartement (pas lu et visiblement à lire, si je crois le ton de l’article et ne veux pas mourir idiot …) est «le premier écrivain du Maghreb à siéger sous la Coupole» (et derechef on nous épargne écrivaine . Bravo à Catherine Bédarida, qui signe l’information, et qui fait honneur à son sexe en ayant l’intelligence d’utiliser le neutre. Bravo et merci !). Quant à l’universitaire, native (1936) de Cherchell, fille d’instituteur et normalienne supérieure, qui rejoint Hélène Carrère d’Encausse, Jacqueline de Romilly et Florence Delay … il reste à la découvrir.

Dimanche 25 - Lundi 26 : Cette fois, après Richard Descoings (Sciences Po) et Patrice Corre (Henri IV), c’est Monique Canto-Sperber (Directrice de l’ENS) qui s’y colle et nous livre son plaidoyer dans le sens des âneries à la mode : «Du ‘9-3’ à Normale Sup : c’est possible». Philosophe – et non des moindres -, voilà une nouvelle adepte de l’aveuglement éducatif et du renoncement positivé. Le sous-titre de l’article : «L’enjeu : déjouer la fatalité sociale qui détourne les jeunes issus des milieux défavorisés des filières d’élite», signe l’aberration de l’approche.

Sauf qu’aux yeux de la signataire, il ne s’agit pas d’une aberration mais d’un volontarisme réaliste. Car le problème est tout à fait vu : «Les élèves reçus à l’Ecole normale supérieure sont presque tous issus des classes moyennes cultivées (…). Remédier aux causes profondes d’un tel fait exigerait sans doute une réforme d’ensemble de la scolarité primaire et secondaire, lente et difficile. Nous voulons agir vite et efficacement, afin de montrer qu’il est possible, malgré le milieu où on est né, d’accéder à une filière d’élite. Etc.». Non pas «… exigerait sans doute …», Madame la directrice de l’ENS, mais «… exige …» , tout court, et qui dit le nécessaire sens de l’action à mener, à rebours des faux semblants avancés ! Ils ont tous cette attitude étrange d’un thérapeute dont le malade a un cancer généralisé et des verrues, et qui , découragé par l’ampleur de la tâche, choisit de se consacrer aux verrues.
J’en ai dit deux mots tout à l’heure à propos de Sciences Po (cf. Mercredi 21).

Affirmer qu’on peut trouver dans tous les milieux des éléments capables de réussites scolaires brillantes sous réserve d’un soutien-suivi personnalisé haut de gamme n’est en rien un scoop. C’est bêtement un truisme, une évidence ! Monique Canto-Sperber, à prétendre prouver cela ne prouve rien du tout, puisque l’affaire est dès le départ entendue et avérée. C’est l’école qu’il faut guérir, l’école dans son ensemble, l’école pour tous et pour la réussite de chacun au mieux de ses moyens et de ses aptitudes. Elle va faire de trois pelés et un tondu quatre réussites «à la française», culture, diplômes et énarchie en bandoulière. Que nous importe ? Ce sont les autres qui nous préoccupent, et pour qui cette «réforme d’ensemble de la scolarité primaire et secondaire, lente et difficile» est une priorité absolue. Une priorité qui a sombré dans les grandes peurs conservatrices de 1968 et qui a été étouffée dans l’œuf par l’incompétence éducative, l’impréparation et la pusillanimité de la gauche lors du choc qui eut pu être salutaire de 1981. Le «lent et difficile» serait derrière nous, et digéré et nous ne serions pas à la traîne des réussites scandinaves dans le domaine de l’éducation mais largement devant si les politiques avaient eu les yeux un peu plus ouverts et – pour être délibérément grossier - le Kangourou un peu plus rempli !

Que faire alors ? La campagne présidentielle nous apportera la réponse : rien.

Luc Ferry disait l’autre dimanche chez Patricia Martin (France-Inter / Philofil/ 12h05 – 12h45) qu’il ne prévoyait aucun changement envisageable avant 2012. Un quinquennat complet encore à s’enfoncer lentement avant de donner un coup de talon au fond de la piscine …. Triste attitude que ce défaitisme assumé. Triste mais sans doute lucide. Il y est passé.
Il y a encore quelques progrès à faire dans le pire avant qu’on ne se décide à prendre en compte le problème dans sa réalité globale. D’ici là, Monique Canto-Sperber se sera consolée de centaines de milliers d’analphabètes socialement inadaptés, rats crevés au fil de l’eau - système scolaire en perdition oblige -, en ayant transformé trois douzaines de pré-délinquants en élites de la nation. Beau succès, et qui force l’estime !

(à suivre …)

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