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AutreMonde
20 avril 2006

Pour en finir avec le cours de Finkielkraut ?

Nous autres, modernes , me poursuit, décidément. J’ai traîné sur les résumés des leçons, puis sur les notes , je n’ai guère développé les remarques et finalement, je sais à peine que je l’ai lu, quand bien même je l’ai relu... .

C’est un cours, un cours de l’X, repensé et réécrit. Comment s’insère un tel travail dans la formation de jeunes scientifiques de haut niveau? On fait quelques heures d’enseignement littéraire en classes préparatoires. Au début des années 60 où j’étais à Louis-le-Grand, les cours étaient diversement suivis, c’est à dire assez fréquemment séchés. À l’X, Charles Morazé officiait dans la chaire que tient aujourd’hui Finkielkraut. Il était vaguement écouté, survolait l’histoire politique de la troisième république, et ne voyait peut-être pas, derrière la paillasse, au bas de l’amphi, d’où il développait ses notes, que ça lisait beaucoup dans les travées, des polars assez souvent. En haut, surplombant les gradins, il y avait un officier de l’encadrement, censé contrôler que le calme régnait et qu’on respectait le conférencier. L’officier s’ennuyait et je me souviens du capitaine Sapin, sémillant gradé de l’armée de l’air, qui s’était autorisé une courte absence et s’était fait dérober la casquette à trois galons qu’il avait malencontreusement laissée sur son petit bureau. La plaisanterie, l’obligeant à dévoiler son incartade, avait dû lui valoir quelques ennuis hiérarchiques. Quelle carrière depuis a été la sienne?
Mais nous, que tirions-nous de la réflexion de Morazé? Et que tirent les jeunes polytechniciens d’aujourd’hui des exposés de Finkielkraut? La mélodie des références culturelles, l’évocation de situations rencontrées en cours d’Histoire dans le courant des études secondaires, quel impact? Quels échos? Quelle moralité?

Faut-il être moderne? Leçon n°1. Et réponse réservée, crainte de la disparition de la langue, de la dilution de l’héritage. Et Péguy: Le pain et le livre, au delà peu nous importe la répartition du luxe (?).
La conversation, en grande école, porte effectivement beaucoup sur “la répartition du luxe”, mais hélas au sens de celui qu’induiront les salaires à venir, qu’on espère particulièrement juteux! Dérision dès lors dans ce contexte d’une pensée tournée vers la réflexion intériorisée du lecteur et citation qui, hors contexte, semble bien peu soucieuse de justice dans la répartition des richesses.

Les deux cultures . Leçon n°2 . Combien, parmi ces jeunes scientifiques, se préoccupent d’humanités? On en trouvera, l’arbre régulièrement vient cacher la forêt. Mais combien, vraiment, qui s’interrogent sur le sens de leurs attentes? L’activité scientifique scolaire - et nous sommes dans une école, fût-elle “Grande” - a ceci de particulier qu’elle évite la réflexion. On n’y rencontre que des problèmes posés dans des termes codés, qui relèvent de la mise en jeu de concepts à l’écart de toute philosophie et de toute éthique et dont le réagencement astucieux s’appellera solution. On y pense en meccano. Comment dans ce contexte “enseigner” l’émotion, qui naît de la littérature? D’autant que la valeur de cette émotion reste à prouver, qui pourrait bien relever de la larme de crocodile ... Alors Finkielkraut “raconte”. C’est formidable, les histoires, les mouvements d’idées, les formules (la philosophie comme réponse à la question : Qu’est-ce que? ... Mais attention aux détournements. Penser à Coluche posant sa devinette : Quelle différence y a-t-il entre un pigeon ?). Montaigne en anti-Socrate n’est-il pas essentiellement moderne quand il veut savoir jouir loyalement de son être ? Et la formule ne court-elle pas le risque d’abonder l’argumentaire des tenants du “Jouissez sans entraves”? Et Shakespeare : ...car il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel , Horatio, que n’en peut rêver votre philosophie ? Cessons d’élucubrer et, derechef, jouissons? Carpe diem ? Mais en quel sens ? On voit surtout se creuser un immense fossé entre ceux qui prétendent penser le monde et ceux qui veulent le vivre et dans ce dernier camp, on sent poindre comme une boulimie qui signe un effondrement du respect de l’Autre. Mais il me semble que Finkielkraut ne philosophe pas assez sa philosophie. Il expose. Et après? Qui tire la leçon? Faire son miel tout seul? Que signifie, vraiment, ce qu’il cite, ce qu’il déroule?

Penser le XX° siècle. Leçon n° 3. Le discours se poursuit, passionnant, enlevé et ... descriptif. Il suffit de regarder ? Et de regarder continuer à s’effondrer ce respect de l’Autre dont je viens de parler? Merleau-Ponty : Peut-être y a-t-il un maléfice de la vie à plusieurs? La morale serait-elle là? Seulement là? Mais alors, que faire? Shakespeare a donc tout dit : Life is a tale, full of sound and fury, told by an idiot, signifying nothing? Et peut-on penser tout court, XX° siècle ou pas? Ce cours de Finkielkraut ne peut prendre sens que s’il est prolongé et dialogué. A-t-il pu l’envisager ? Y a-t-il des questions dans l’amphi? Comment faire penser ses auditeurs ? Là est le vrai problème. On fournit des matériaux, mais ensuite? Le pédagogue expose. Bien. Mais il faut que le pédagogue explique. Comment? Comment penser jusqu’au bout une complexité, quand le besoin ou la nécessité d’agir exigent la simplification ... et engendrent quelquefois, à un autre niveau, les catastrophes. Comment apprendre à penser? Ce cours, formidable d’enracinement culturel, apprend-il à le faire ou présuppose-t-il qu’on le sait? Démontrer un théorème est quand même plus facile que déployer une idée dans ses contradictions.

La question des limites . Leçon n° 4 . Où l’on survole tout, repartant de Pic de la Mirandole (1486), constatant Prométhée déchaîné, tout trop haut, trop vite, trop fort (pour qui en fait? Le trop est-il si général?), avec Dieu mort (là encore, lequel et pour quels (in)fidèles?) et l’homme désormais causa sui. Un petit tour d’écologie, une paysannerie qui s’industrialise, Quel temps ferons-nous? qui remplace Quel temps fera-t-il? , l’ESB et le principe de précaution, le Sida et la peur et la mort qu’on refuse et dont on fait porter la responsabilité à l’Autre, toujours l’Autre, le toubib, le politique, le partenaire, la société, sonnant le glas de l’innocence. L’emballement, bref, le tant moqué “Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites” ... Où allons-nous, jeunes gens?, car c’est vous, entre autres, qui allez finir de nous y conduire. L’a-t-il dit, cela, pour conclure, Finkielkraut? Il l’écrit : non pas Quel monde vous laissons-nous?, mais Quel monde nous ferez-vous? Ont-ils entendu, compris? Ont-ils acquiescé, réfléchi?

Qu’ont-ils appris du monde pour finir, ici? Peut-être que le propre de ceux qui avancent est d’adopter des attitudes et d’opter pour des voies qu’ils regretteront dès qu’ils auront fini d’avancer. On ne croit plus, immobile, à ce qui nous a fait agir. Seul le mouvement justifie le mouvement. Et alors? Que retenir des anciens sinon qu’ils n’ont cessé de se tromper? L’héritage? Ah, oui, l’héritage... Une pincée de stoïcisme et beaucoup de discours. Quelques médailles et beaucoup de revers. Combien de croutes sinistres pour un chef d’œuvre qui nous parle. Et justement, la langue, la beauté de la langue, assurément, mais pour quelles vérités porteuses de leçons? Et y a-t-il des leçons? On ne croit jamais être en train d’être dans quoi que ce soit qui ait déjà été vécu. Albert Thibaudet vivait le premier conflit mondial dans Thucydide? Objectivité ou subjectivité? L’affirmation produite a-t-elle un sens autre que poétique? Et quoi qu’il en soit, que cette guerre ait en quelque sorte déjà eu lieu ne pouvait sauver aucun poilu. Ernst Jünger, dans les tranchées d’en face, lisait lui aussi beaucoup. Et le livre fermé, fixait la baïonnette au canon et montait à l’assaut. La littérature ne sauve personne, elle donne seulement un autre sens à l’échec et fait du désespoir un geste artistique. Mais la misère reste et la décrire peut faire vendre. Ce sont alors les narrateurs qui s’enrichissent, pas les malheureux.

C’est un cours plein de questions sans réponses et qui parle, en épilogue, de Sauver l’obscur ... L’homme est orgueilleux, pusillanime et vain. Il faudrait lui apprendre l’humilité, l’irrévérence, son indispensable compagne, et la vertu. Sauver l’obscur? Oui, si on le peut, mais l’obscur qui est en nous, qui sait qu’il ne sait rien et qui s’acharne à comprendre pourquoi il ne comprend pas . Nous autres, modernes , y aide-t-il? Peut-être bien, quand même. Il ouvre des pistes. Il faudrait pouvoir les emprunter vraiment, les approfondir et les dialoguer. Les étudiants de l’X l’ont-ils éprouvée et saisie, cette envie d’aller plus loin?

Ai-je ainsi fait le tour? Sans doute pas mais, néanmoins, fermons ici le ban.

Je redonne les dates successives des éléments d’étude précédents : 24/12/05 - 05/1/06 - 12/1/06 - 26/1/06 - 06/2/06 - 07/3/06 - 30/3/06. On peut s'y reporter en passant par les archives mensuelles.
Il vaudrait mieux que je regroupe tout ça . Peut-être... On verra.

En attendant, et si ce n’est pas déjà fait, lisez-donc Nous autres, modernes.
Voilà, vous avez de nouveau 20 ans et vous êtes à l’X. Alors?

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