JP Brighelli - “À bonne école” : Déplorations Productives / Improductives ?
Essai publié le 6 / 4 / 2006 - JC Gawsewitch Editeur. 19,50 €
La quatrième de couverture nous dit que l’auteur, dont le précédent bouquin (La Fabrique du Crétin - 2005) a connu un certain succès et qui récidive ici sur le même thème, est Normalien, agrégé de lettres, et a décidé - trente ans d’expérience dans les établissements les plus divers - de mettre sa colère au service de l’Éducation. Va pour la colère. Mais le livre est assez mauvais. Le premier jugement, refermé, est qu’il vient s’ajouter, avec plutôt moins de talent que d’autres, à la pile des opuscules qui s’aveuglent de nostalgie - ici parfois haineuse - sans bâtir un vrai projet pour l’école.
Je me sens désolé pour les quelques références de qualité qu’il appelle à son secours et qui, peut-être, s’en seraient volontiers dispensées (Alain Finkielkraut ; Jean-Claude Michéa). Quant à la détestation médiocre dont il poursuit Philippe Meirieu, intronisé fossoyeur définitif de la pensée éducative française, elle ne le grandit pas. Brighelli fait partie de ces agrégés - nombreux, hélas - qui ont beaucoup de mal à se remettre de ce que d’autres, sans ce titre, ayant même éventuellement - horresco referens - échoué au concours, puissent se révéler cultivés, réfléchis et imaginatifs. Cette hypothèse est d’ailleurs, pour lui, proprement inenvisageable. Il épuise ainsi, dans une haine sans fond à l’égard des pédagogues verbeux et aux compétences diplômées incertaines qui peuplent - je reconnais volontiers qu’il n’est pas le seul à le dire - les IUFM, une énergie considérable et qu’on aimerait davantage tournée vers la prospective, dessinant alors mieux les contours de l'école restaurée et renouvelée qu’il appelle de ses vœux grinçants.
Il s’est d’ailleurs trouvé un porte-drapeau multi-primé en la personne de Laurent Lafforgue, Ulmien (c’est à dire passé par l’ENS de la rue d’Ulm - Je crois deviner que Brighelli n’est “que” Cloutier (passé par l’ENS de Saint-Cloud)), agrégé, docteur ès Sciences mathématiques, membre de l’Académie des Sciences à moins de quarante ans et, plus encore, médaillé Fields (le Nobel des matheux). Ayant acquis dans sa spécialité une hauteur de vues que personne ne peut lui contester et y naviguant, à l’IHES (Institut des Hautes études Scientifiques), au milieu de concepts , de notions et accessoirement de techniques réservés au plus petit nombre, Laurent Lafforgue s’est découvert une passion assez récente pour la chose éducative que sa méconnaissance du terrain et la force de conviction des pleureuses au contact desquelles il s’est trouvé ont transformée en une croisade imprécatoire qui dénature, via un “arrière toute!” inadapté, son cri d’alarme malgré tout vraiment justifié. Laurent Lafforgue préface JP Brighelli.
L’ennui, avec les agressifs, c’est qu’ils ont - entre autres ici - souvent en partie raison! Car l’école court à sa perte dans l’effondrement généralisé de toutes les rigueurs qu’elle devrait défendre. C’est évident, c’est imparable et il faut de formidables aveuglements idéologiques pour voir le verre à moitié plein quand il est déjà pratiquement vide. Mais il convient d’aller plus loin, et après avoir pendu Philippe Meirieu avec les tripes de Claude Allègre, il faut dire comment rebâtir un système éducatif adapté à une société en plein tâtonnement, en sauvant ce qui peut et mérite de l’être de l’héritage, et en le mettant au service de l’avenir. Cela reste à faire.
Pour le constat, il est un document irremplaçable et qui rend tout autre inutile : le récent livre de François Bégaudeau , Entre les murs. Savoir ce qu’est l’école aujourd’hui, en son rouage essentiel, le collège? Ça!
Et ensuite ? Il faut reconstruire, et non se gargariser de regrets éternels. On peut vomir les Pédagogues du pédagogisme, clamer que l’Inspection Générale a trahi, vilipender les Petits Chefs de toute sorte (et d’abord, souvent, d’Établissement), s’affliger de l’incapacité réactionnaire des Syndicats, moquer l’incompétence carriériste des Politiques... On peut, et dès que l’occasion s’en présente, j’entonne moi aussi volontiers ces airs là. Mais il faut ensuite, il faut surtout, proposer. Et proposer, ce n’est pas s’insurger qu’on sache peu Shakespeare en banlieue ou qu’on y prenne Roland Barthes pour le portier de l’O.M. en marquant son désaccord sur le prénom.
La principale erreur des protestataires accablés et vindicatifs que veut incarner Brighelli, c’est d’en rester à l’idée que l’affaire pourrait se régler par une ressaisie des programmes, ceux des élèves et ceux des formations de formateurs, et par une restauration fantasmée de l’autorité, le tout dans des structures à peu près maintenues. Sauf une allusion en page 39, de fait, ensuite, JP Brighelli ne remet pas même en cause les ZEP! Or, la première urgence est peut-être de les supprimer, tant elles marquent l’incapacité du système à penser une vraie formation “globale”, unique dans sa conception et modulable, adaptable-adaptative dans ses souplesses, donnant au terrain toute sa capacité d’initiative et de réponse aux besoins locaux.
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Le redire : il faut changer d’abord les structures, la conception structurelle du système. Il faut le redéfinir par son squelette, organisationnel, fonctionnel. Ensuite on cherchera les hommes pour le rendre opérationnel. Ensuite les textes, ensuite, seulement.
Voyons. Soyons sérieux. Listons un peu les injonctions, les affirmations diverses de Brighelli, laissons de côté les invectives et les attaques par trop ad hominem , et voyons si des pistes peuvent être là dedans quand même reconnues, et exploitées. Assez d’anathèmes a priori. L’école est en difficulté, tout peut éventuellement faire ventre.
Donc : (...)
Il est impossible de compter sur les hiérarchies en place pour sauver l’école (Préface: L. Lafforgue) . Pas faux ! Et c’est un vrai problème.
Un seul principe : ... la reconnaissance de l’instruction obligatoire de tous comme raison d’être de l’école (Idem). Au fond, oui.
Quand j’entends le mot citoyenneté, je sors ... de mes gonds (page 36). À tort. C’est un beau mot et on peut lui donner un sens, et le remplir de “culture”.
À terme, quand la notion d’équipe pédagogique [ deviendra celle d’] équipe dynamique, consciente des nécessités et dans le cadre d’une autonomie nouvelle des établissements, [capable] de construire un projet réaliste ...(page 39). Étonnamment opportun, tout est là et dit. Voilà LA piste. Alors pourquoi n’en plus parler ensuite, ni esquisser les moyens pour y parvenir?
Le défaut d’Histoire attise naturellement la Bêtise, qui engendre le racisme. Haïr, c’est ne pas savoir (page 54). Oui, adhésion!
Cette agressivité [la violence des enfants] qui couve et qui explose, n’est-elle pas le reflet de ce vide culturel que rien ne vient combler ? (page 76). Entièrement d’accord.
(...) une instruction généraliste et polyvalente, la seule qui compte, parce qu’ elle seule permet, ultérieurement, toutes les spécialisations (page 82) Évidence, mais qu’il n’est pas mauvais de re-souligner.
Le bilan des IUFM est globalement négatif (...) et j’attends (..) un audit indépendant (page 98). Il est certain que la question des IUFM mérite d’être ... ressaisie.
Pourquoi ne pas créer (...) dans le cadre des lycées (..) des classes préparatoires [généralistes] à l’enseignement primaire ? (page 119). Brighelli veut supprimer les IUFM. Il est là dans une logique à laquelle je n’adhère pas entièrement, mais l’idée d’une formation “prépa-généraliste” pour les “instits” n’est pas malgré tout à balayer sans discussion.
Instituteur et professeur sont deux métiers distincts (...) Un instituteur enseigne des certitudes, un professeur enseigne des doutes (pages 139-140). Soulève une idée tout à fait intéressante. À discuter !
Que l’on doive revaloriser les salaires des enseignants est une évidence, si l’on veut recruter les meilleurs. L’excellence a un prix (page 148). Oui, probablement .
Inspecter avec les mêmes critères les enseignants de l’un et l’autre établissement [ZEP et beaux-quartiers] est une aberration. Et les payer de même une injustice (page 152). Pour faire court : Oui, puis Non. L’inspection est un concept à totalement reconsidérer et je suis hostile à des différences de traitement “selon le public”, affirmant que d’une certaine façon (à discuter), la difficulté pédagogique est uniforme.
Mais plus que l’enseignant isolé, c’est l’équipe pédagogique qui devrait se voir investie de pouvoirs nouveaux.(...) L’inspection pourrait jouer un rôle intéressant de cadrage et ce, en dehors de toute évaluation individuelle (page 155). On avance, là. C’est sur ce type de piste qu’il faut réinsérer la réflexion pédagogique. À préciser.
La pédagogie des “contrats” par lesquels un élève s’engage à respecter le règlement est le plus souvent une farce (page 157). Le constat du fiasco, sur le terrain, est d’évidence ! Comme avec les I.D. (Itinéraires de découverte), les T.P.E. (Travaux personnels encadrés) et autres calembredaines que Brighelli a raison de dénoncer par ailleurs, on est effectivement là dans la pédagogie de la foutaise.
Les chefs d’établissement (...) sont désormais accablés, chaque jour, de charges nouvelles, de rectifications, de décrets, de toute une paperasse qui limite férocement leurs liens avec le monde enseignant proprement dit... (159). Pas faux, mais sans les bons prolongements. Brighelli ne voit pas les problèmes énormes que pose au système l’inadaptation globale de ces cadres aux missions d’impulsion éducative qu’ils devraient remplir. Question souvent de profil: “The wrong man (woman) in the right place!”. Voilà un point de structure décisif à repenser: rôle et désignation des chefs d’établissement.
Les professeurs de mathématiques, consultés, pensent presque unanimement que les calculatrices devraient être interdites jusqu’en terminale (181). Fantasme? Je suis au moins surpris et je m’inscris en faux. Les calculatrices peuvent être un auxilaire puissant des apprentissages. Le problème est dans la gestion de leur usage.
Chacun doit pouvoir réussir à son rythme et à son niveau de compétence. (...). On ne tient aucun compte en France, sous le même prétexte d’égalitarisme qui a permis de guillotiner les élites, des dons réels, dans quelque domaine qu’ils s’expriment (page 235). Sauf le venin sur l’égalitarisme, le problème soulevé est patent et c’est un de ceux, essentiels, à résoudre. Comment concilier fond commun solide pour tous et possibilité d’approfondissement individuel de l’excellence pour chacun? C’est une question de restructuration des cursus et Brighelli n’en dit rien.
La leçon africaine [et] Dakar, banlieue de Guediawaye [avec] dans cette classe de troisième (...) cent-cinq élèves (...) et on entend les mouches voler , tant les petites têtes brunes sont appliquées à réussir (page 236). Mythologie: rien n’est transportable.Je veux bien lire ça, appaludir à l’effort de ce professeur et de ces gamins, mais au delà ? Rien pour nous. Les contextes culturels, sociétaux, sont trop différents. Oui, il y a là un phénomène que nous pourrions envier, en oubliant son contexte, mais il n’y a pas un exemple. Il nous reste à inventer tout autre chose.
William et Juliette (Chapitre VI - pages 243 et sq). Le mythe, de nouveau, et les contes et légendes de la banlieue rêvée. Brighelli a trouvé au Collège Michel de Montaigne, à Lormont (banlieue bordelaise), la version anglaise de L’esquive, d’Abdellatif Kechiche, qui filmait une prétendue mise en scène de Marivaux dans le contexte délibéré de l’inculture de jeunes passant le plus clair de leur temps libre à tenir le mur, appuyés qu’ils sont contre. J’avais, à l’époque et ailleurs, dit tout le mal que je pensais de ce film.Ici, on monte Shakespeare, en troisième et en ZEP. Mêmes fariboles. Brighelli y croit. Qu’a-t-il eu comme source d’information sur l’affaire dans son ensemble? Oui, Brighelli y croit... et moi, pas.
Voilà. Et, c’est à peu près tout.....
Trois cents pages de son cru et une trentaine supplémentaires, témoignages et courriers de lecteurs. Pas de proposition d’ensemble, une grande nostalgie des textes classiques - Brighelli pense essentiellement en “prof de lettres” -, beaucoup d’attaques non constructives, un “Bon à tirer” donné un peu hâtivement (il y a quelques doublons, quelques maladresses), un manque de “style” par moments évident ..... On resuce inlassablement les mêmes aigreurs sans en faire jaillir l’étincelle nouvelle. Un bilan factuel bien médiocre et un effort que je crois, en l’état, assez mal cadré, sauf peut-être sur le créneau de l’école maternelle (non évoqué dans mon relevé) où mon inexpérience professionnelle laisse sa chance à ses assertions convaincues .... Il faudrait y aller mieux voir.
Peut-on essayer quoi qu’il en soit de dessiner à sa place (?), en se limitant aux questions qu’il aborde et aux solutions qu’on croit deviner siennes, l’esquisse d’une direction de réforme ? Ça ne saurait (lui) faire de mal ....
Quelque chose comme :
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Il faut redonner à l’école une mission globale et prioritaire de diffusion de l’ instruction obligatoire. Il faut commencer pour ce faire ab origine en repensant l’encadrement des premières années où la répartition parents - crèches - maternelle n’est pas optimale, avec une insertion actuellement peut-être prématurée dans le circuit scolaire.
Il faut viser un accès à l’intelligence par les grands textes, dans l’ordre de l’Histoire, par ailleurs essentielle, au sein d’une formation toujours généraliste. Celle-ci est le terreau nécessaire à tous les développements individuels à venir, qu’il faut essayer de permettre (Haro - acceptable - sur l’égalitarisme bête et systématique).
Comme pour enseigner des connaissances, il faut en avoir, on doit repenser la formation des maîtres, qui pourrait s’inscrire dans un cursus initié par deux années de classes préparatoires “généralistes” en lycée (Haro - à discuter - sur les IUFM et leurs pseudo-cadres). Et pour recruter, comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, tant qu’à repenser les perspectives offertes, il faut revaloriser les salaires.
Les hiérarchies en place sont inopérantes... Les chefs d’établissement sont débordés et les inspections inadaptées. Il faut revoir tout ça en sachant que le but est l’émergence d’équipes pédagogiques dynamisées-dynamiques capables de construire et de gérér des projets réalistes dans des établissements plus autonomes.
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Il me semble qu’en gros, j’ai donné là le “positif-Brighelli” disponible dans le livre. Franchement, ça ne mérite pas trois cents pages, mais on a quand même une petite pierre, disons un petit caillou, qui pourrait devenir gros, très gros, si on développait effectivement, en réinstallation de tout le système éducatif, l’exigence quadruple: restructuration du corps enseignant en équipes - restructuration des formations (contenus et concours) - autonomie des établissements - redéfinition d’un encadrement (hiérarchies) d’impulsion et de guidage.
Cette idée, que je lui arrache, il l’entoure de tant de scories qu’elle en est peu lisible. A force d’attaques... Dommage. Sur cet énoncé articulé en quatre points, elle est bonne. Mais ensuite, qu’en faire qui soit opérationnel?