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AutreMonde
30 mars 2006

Alain Finkielkraut. Leçon 4 et dernière (!)

“Nous autres, modernes”

Résumé de la leçon, titrée : LA QUESTION DES LIMITES

L’homme entreprend l’infini .

L’enthousiasme hugolien s’exprime dans la préface des Travailleurs de la mer: “L’homme, ce vivant à brève échéance, ce perpétuel mourant, entreprend l’infini (...) Tout borne l’homme, mais rien ne l’arrête. Il réplique à la limite par l’enjambée (...) il monte à l’assaut de l’immensité, le marteau à la main”.

Cet homme hugolien, c’est l’homme moderne, pas l’homme des Anciens, quand ils disaient: “Rien de trop”. Pour les Sept sages de la Grèce, le “Connais-toi toi-même” n’a rien d’introspectif: il invite seulement à la connaissance et à la reconnaissance de ses propres limites.
Le Moderne lui, n’en démord pas, il veut “avancer”... et pour se trouver une référence, il se tourne vers Prométhée. Captation de mythe peut-être. Y a-t-il cohérence avec le cycle légendaire ancien? Il y a au moins réinterprétation, en se démarquant du message initial, qui fut essentiellement dénonciation des effets et méfaits de la démesure.

Les chrétiens, eux, nous ont ensuite imposé la croix du péché originel. Certes, ils ont en quelque sorte tiré l’espoir hors de la jarre (cf.ci-dessous), mais pour affirmer que nous ne nous délivrerions pas du mal tout seuls.

Rappel: Le Titan Prométhée apparaît chez Hésiode, vers le ~VIII° siècle. Au cours d’un sacrifice rituel, il fait deux parts d’un bœuf. D’un côté la chair et les entrailles, qu’il recouvre de la peau de l’animal, de l’autre les os sans viande, cachés au sein d’une appétissante motte de graisse blanche. Et Zeus, qu’il fait choisir, tombe dans le panneau, laissant du coup aux hommes la meilleure part, celle de la chair et des abats. Colère du roi des dieux: il prive de feu les hommes. Seconde rouerie de Prométhée: il “dérobe (pour eux) au creux d’une férule (Plante herbacée vivace à racines très développées) l’éclatante lueur du feu infatigable”. C’en est trop. Zeus commande à Héphaïstos la première femme, Pandore (son nom signifie “cadeau de tous”; chaque dieu y va de son don ... et au cœur de Pandore, Hermès met le mensonge et la fourberie). Pandore est dotée, “à l’image des immortelles (d’)un beau corps aimable de vierge” et donnée par Zeus à Épiméthée, le frère un peu benêt de Prométhée. Elle ouvrira la jarre où sont enfermés, avec l’espoir, tous les maux. Les maux s’échapperont et, tentant de réparer son erreur, elle refermera le couvercle sur l’espoir!
Prométhée a excédé sa place. Sa démesure a conduit les hommes au malheur et les maux sont désormais inhérents à leur condition. Voilà la leçon d’Hésiode.

Eschyle (~525 - ~456) y reviendra (Prométhée enchaîné) et, pour ce vol du feu, Prométhée va se retrouver ancré à un rocher et livré chaque jour à un aigle qui dévore son foie que la nuit reconstitue.Tragédie de l’insoumission, de l’orgueil, chez Eschyle: “La démesure (l'Hubris), en murissant, produit l’épi de l’égarement et la moisson qu’on en lève n’est faite que de larmes” .

Tel est le cadre proprement “prométhéen” : les Grecs craignaient l’ Hubris .

Or le Prométhée moderne, réinterprété, écarte ces limites, l’antique et la chrétienne, et il veut prendre son destin en main. Voici Pierre Joseph Proudhon (1809 - 1865). Il conteste le droit de propriété. Il fluctue certes, s’opposant à Louis-Napoléon Bonaparte avant d’essayer de croire à sa “réforme sociale”, et il sera critiqué par Marx. Mais enfin, il est le père de l’anarchisme, le fondateur du système mutualiste, du syndicalisme ouvrier et du fédéralisme. Prométhée, dans une action qui porte en elle-même des possibilités toujours nouvelles veut déborder, par principe, tout cadre limité. Et nous sommes allés très loin. N’étant plus ni Grecs, ni Chrétiens, nous avons largué les amarres, nous avançons tout le temps, sans être restés hugoliens, ne nous contentant plus de vouloir “seulement” dépasser ce qui nous est donné pour impossible dans le lyrisme, la fierté et la joie de la conquête ... Nous nous sommes emballés, désormais incapables de ralentir, ne serait-ce que pour faire le point .........

Du coup: trop haut, trop vite, trop fort ... Ainsi du sport, paradigme de tous les dérapages.... De l’idéal de Coubertin, de l’éducation du “va-de-l’avant”, de l’Olympisme du “Citius! Altius! Fortius!” , on est passé à la frénésie du dopage : “Citus Nimis, Altus Nimis, Nimis Fortis!” . Nimis : Trop ... Les enfants de Coubertin, à vouloir continuer l’Olympisme, ne nous ont pas rendus pour autant Grecs!
Les Grecs voulaient s’accomplir! L’idéal antique était de proportion, d’harmonie, d’équilibre, de mesure. Le sport moderne met en scène l’aspiration inextinguible au dépassement de soi , sacrifie au culte de la performance à tout prix, sans regarder aux moyens, car au bout, il y a de l’or, et ce n’est pas celui des médailles olympiques. Chaque fois qu’un record tombe, aujourd’hui, l’Olympisme Grec perd un peu plus de terrain. Les grecs honoraient “les meilleurs”. Nous créons, à des fins mercantiles, des “surhommes”.

Michel Serres: “Naguère, Spinoza (1632 - 1677) désignait Dieu comme “causa sui” (cause de soi), (car) il se produisait lui-même puisqu’aucun créateur ne pouvait être pensé au-dessus de lui. Nous nous saisissons de cet attribut (qui fut divin). Nous devenons cause opérationnelle de notre vie”.

Nous devenons? L’affaire est peut-être plus ancienne! Emballement aujourd’hui, sans doute, mais déjà, en 1486, Pic de la Mirandole, dans son Discours sur la dignité de l’homme, fait dire au Créateur: “La nature enferme d’autres espèces en des lois par moi établies. Mais toi, que ne limite aucune borne, par ton propre arbitre, entre les mains duquel je t’ai placé, tu te définis toi-même”. Que faisons nous d’autre, dans nos excès même, qu’appliquer intrépidement le programme?

L’humanisme splendide de Pic de la Mirandole s’est pris au mot et au pied de la lettre. Ses valeurs s’incarnent... et soudain se dévoilent inconséquentes. Toute cette liberté, conquise, nous dé-nature. La part du fabricable augmente, et c’est ce qui l’a permis qui se trouve mis en péril. L’homme redécouvre en tremblant que la nature est ce fonds où s’enracine son humanité, dont il ne saurait vouloir disposer à son gré. Enjambera-t-il, ou pas, la frontière qui sépare encore la croissance naturelle des choses de la production des objets?.....

.... pour décréter l’éclipse de la nature ?

Pullulement des artefacts.. Par la puissance technique du progrès, le monde est devenu le canevas de l’homme et, à partir de ce canevas, celui-ci fait ce que bon lui semble. Au XIX° siècle, à cet âge qu’Hugo croyait déjà celui de l’homme-que-rien-n’arrête, demeuraient néanmoins des hommes que tout bornait: les paysans, qui répétaient des gestes immémoriaux. La seconde moitié du XX° siècle a eu raison de cet anachronisme. La nature s’est retirée des campagnes! Dans la France libérée qui sort du conflit de 39-45, la nécessité de nourrir tout le monde exige et justifie la conversion du paysan en exploitant agricole. En outre, sous l’occupation, le maréchalisme a compromis le monde rural, tant la Révolution Nationale a érigé en contre-modèle de 1789 “l’homme-qui-travaille-la terre-qui-elle-ne-ment-pas”: au lendemain de la Libération, celui qui fut “le paysan” met un point d’honneur à habiter la société et non plus seulement son pré, à signifier qu’il n’est plus une survivance de l’Ancien régime. Exploitant agricole! ... et l’élevage, pour les animaux, devient, affreux retournement, un espace concentrationnaire! Ce qu’il ne veut d’ailleurs pas voir: il a banni de sa nouvelle religion le scrupule, c’est à dire “le fait d’être tenu en respect par ce qui se tient à notre merci”. Il n’y a plus, partout, que du “calculable”, plus d’animal mais des produits ... L’homme est seul, il ne rencontre plus que des “structures dont il est l’auteur”. La Création? Sa création! Serait-ce le prix à payer pour réduire la part du tragique dans l’existence ?...

Car il n’y a pas que la soif de pouvoir, du pouvoir pris sur la nature, il y a chez le moderne Prométhée un désir vrai d’aménagement et de confort, et si l’homme soumet tout au calcul, c’est aussi par volonté de conjurer les catastophes. Las, le fléau résiste et pire, c’est ce mouvement de soi-disant prévention qui va engendrer d’autres maux .
Un exemple? L’encéphalopathie spongiforme bovine, l’ESB .......

... et l’émergence de la précaution ?

Dans son Novum Organum de 1620, le philosophe anglais Francis Bacon (1561 - 1626) érige l’ambition en vertu, contre la doctrine chrétienne de l’humilité et contre l’idéal grec de la mesure. La plus noble ambition surtout, celle "d’accroître la puissance et l’emprise du genre humain lui-même sur l’univers". Mais jusqu’à Hugo, on a malgré tout cru que le ciel resterait en dehors de cette affaire... Et puis le décor est entré dans le drame, l’histoire physique désormais relève de l’histoire humaine et quand “il pleut sur la ville” , c’est aussi la ville qui pleut. Les événements climatiques extrêmes ne sont plus en toute certitude attribuables à la seule Providence. “Quel temps ferons-nous?” remplace “Quel temps fera-t-il?”! Profonde observation de Valery (1871 - 1946) : “(l’homme sait ce qu’il fait, mais) pas ce que fait ce qu’il fait”.

Pométhée est déchaîné, tant et si bien qu’il prend conscience que c’est lui qui doit réclamer “une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme d’être une malédiction pour lui”. À force de répliquer à la limite par l’enjambée, l’homme a trop transgressé et constate, effrayé, que rien ne peut plus l’arrêter que lui-même. La perspective du clonage le met ainsi face à la fusion accablante de Pygmalion et de Galatée (celui qui passe commande et le produit qu’il a commandé... Rappel ci-après), face à cet homme qu’il a fabriqué par l’exercice de sa liberté, qui est identique à lui-même et pourtant, pour cela même, ne peut plus être l’auteur de sa vie personnelle.

Un rappel : Un premier Pygmalion est, ailleurs, roi de Tyr, frère de Didon. Il s’agit ici d’un roi de Chypre, amoureux d’une statue en ivoire qu’Aphrodite, à sa demande, va transformer en femme, et qu’il épousera. Il l’a nommée Galatée. Le couple Pygmalion et Galatée est sous cette appellation objet à partir de la Renaissance de représentations peintes et sculptées : un tableau non attribué du XVI° siècle; un autre de Girodet (1819); une sculpture de Falconet (Etienne-Maurice, salon de 1763); une autre d’Auguste Rodin (vers 1908-1909)...

L’affolement de Prométhée, dit Hans Jonas (1903 - 1993. Philosophe, élève de Husserl (1859 - 1938) et de Heidegger (1889 - 1976)), c’est aussi sa dernière chance. Et c’est la clairvoyance du tremblement, l’heuristique de la peur qui, par l’émergence du principe de précaution, vont peut-être bâtir l’horizon nécessaire et limitatif de sa folle fuite en avant. Peut-être ............

.... mais il y a peur et peur, et parfois, peur contre peur .

Le principe de précaution apparaît comme une réhabilitation de cette même peur qui était plutôt perçue comme obstacle à la réflexion. La superstition, dit-on, fleurit sur le terreau de l’épouvante ... Dans le De natura rerum, c’est Lucrèce (~98 - ~55) qui rend hommage à Épicure (~341 - ~270), parce que ce dernier a su enfin affronter, regarder en face, le visage hideux dont la religion menaçait les mortels et “forcer le premier les verrous de la nature” : quitter le mythe pour la réflexion, s’arracher à l’obscurantisme des mythologies pour et par les clartés de la philosophie. “Sapere aude” : oser exercer son intelligence, oser réfléchir. Voilà bien, dira Kant (1724 - 1804), la devise des lumières.

Michel Onfray n’est pas d’accord avec cette heuristique de la peur dont il reprocherait la frilosité à Hans Jonas; il lui oppose une heuristique de l’audace. Témérité? Non, réaction née d’une autre peur: celle de la mort! Elle apparaît en Europe au début du XV° siècle, dans un poème (Le laboureur de Bohème) d’un certain Johannes von Tepel (ou von Saaz), où le locuteur se répand en invectives contre cette mort qui lui a pris sa femme chérie. Nous sommes, nous autres, modernes, les héritiers de ce deuil impossible et de cette irréductible fureur. Dieu est mort ou peu s’en faut, l’éternité nous a été ôtée, mais nous exigeons la longévité, le médecin a pris la place du prêtre, la santé s’est substituée au salut. La conservation de la vie est devenue le premier des droits de l’homme. Et pour soustraire le corps à l’emprise de la mort, il ne reste qu’à militer en faveur de sa complète artificialisation. Nous exigeons un meccano entièrement réparable! Contre le “raisonnable” du principe de précaution lutte la volonté à tout prix de “rationnaliser le monde”, jusqu’à la mort de la mort. Avec laquelle, pour dépasser cet affrontement, pour accepter un destin au bout du compte préférable dans sa finitude, il va falloir faire la paix ...

Un effet, note Hans Jonas, de la civilisation, “ce vaste artefact de l’intelligence humaine” , est incontestablement la domestication “des causes extérieures de la mort”. Suite aux guerres de religion (1560: Massacre de Wassy - 1598: Édit de Nantes), c’est l’heuristique de la peur qui a conduit Thomas Hobbes (1588 - 1679) à son Léviathan, artifice politique qui doit protéger les hommes de la mort violente.

Rappels :
Massacre de Wassy : Les gens du Duc de Guise déclenchent dans cette petite ville de Haute-Marne (arrdt de St-Dizier) un massacre de protestants. C’est le début des affrontements religieux.
Édit de Nantes : Signé par Henri IV et fixant dans des conditions de grande tolérance, malgré des articles secrets restrictifs, le statut légal des protestants. Il sera révoqué en 1685 par Louis XIV, ce qui provoquera l’émigration de plus de 200 000 protestants, surtout vers la Pusse et la Hollande, et la révolte des Camisards (calvinistes des Cévennes) qui ne prendra fin qu’en 1705.
Léviathan : Ouvrage de Hobbes de 1651. L’état de nature est celui de la guerre permanente (homo homini lupus : l’homme est un loup pour l’homme), d’où le pacte ou contrat social nécessaire: les hommes renoncent à leurs droits naturels et les transfèrent à la société , un pouvoir absolu seul pouvant en assurer l’exécution.

Mais quid de la mort programmée, non prématurée, biologique? L’espèce, à la supprimer, ne touverait pas son compte. La naissance, en effet, c’est l’apparition d’un commencement et l’humanité a besoin de ce que l’expérience détruit toujours: l’étonnement, l’initialité, la curiosité naïve de l’enfant face au réel ... L’individu lui-même y perdrait. Deux citations: “Il sera toujours malaisé de faire bien vivre un homme qui ne veut pas mourir” (Tocqueville) et “Le fait de savoir que nous ne sommes ici que brièvement (...) peut même être nécessaire comme encouragement à compter nos jours et à les faire compter” (Hans Jonas). Sans nul doute (?), nous avons besoin de ce Memento mori itéré pour (mieux?) vivre......

... jusque dans l’âge d’or de l’accusation?

Le tremblement de terre de Lisbonne, le 1er Novembre 1755 provoque également un séisme philosophique dans l’Europe accablée (La ville sera reconstruite par le tyrannique mais efficace Marquis de Pombal (1699 - 1782)).Goethe (né en 1749, il avait six ans) dira dans ses mémoires que la bonté de Dieu lui était de ce jour “en quelque façon devenue suspecte”. Voltaire s’insurge et versifie : Poème sur le désastre de Lisbonne . Il a, lui, soixante ans. Une seule voix dissonne, celle de Rousseau, qui souligne les responsabilités de l’urbanisation excessive et de l’obstination, ensuite, à rester malgré le risque de nouvelles secousses, parce qu’on ne peut pas emporter toutes ses valeurs. Pour lui, c’est en quelque sorte la civilisation qui rend la catastrophe si meurtrière.

Nous avons d’abord globalement adopté le point de vue voltairien, contesté le “Tout est bien” et mis en pratique le “Cultivons notre jardin”, mais... nous l’avons cultivé avec une telle ardeur et une telle efficacité, en prétendant écarter les catastrophes naturelles, qu’elles nous sont, par un effet boomerang, revenues dessus et que nous nous sommes retrouvés insensiblement rousseauistes, avec imputation morale de tous les désastres à la malfaisance ou à l’incurie humaines. Nihil est sine auctore : pas d’événement sans instigateur!

En 1977 paraît en Allemagne Mars, de Fritz Zorn (le pseudonyme “Zorn” signifie “Colère”). Il est jeune, riche, cultivé; il est malheureux, névrosé, seul; et il a “naturellement” un cancer. L’auteur explore, approfondit et revendique ce “naturellement” tout au long du livre. Il meurt à quelques jours de sa publication. Il a 32 ans. Son cancer, c’est à la fois l’incarnation de la violence de la société bourgeoise et sa riposte personnelle, son défi, nécessairement ultime, au système. Il est lui, Fritz Zorn, la victime et l’adversaire. Il nie le fortuit. Il répond à la tragédie par la paranoïa. Colère prémonitoire: on est à quatre ans du Sida.

La maladie émerge en janvier 1981. Les premières victimes sont homosexuelles. Le milieu gay n’y croit pas, pense à une invention du puritanisme au moment même où se libère la sexualité. Post hoc, propter hoc : après cela, (donc) à cause de cela. Cette défiance a priori dans les informations se retrouvera, conséquences dramatiques incluses, dans l’affaire du sang contaminé.L’infection des hémophiles transfusés apparaît fin 1982, mais leur Association, qui voit comme un espoir les progrès apportés au quotidien des malades par les méthodes transfusionnelles (avec possibilité d’auto-traitement grâce aux produits concentrés) refuse le retour à la dépendance et... néglige le risque médical.

Le virus, de fait, est sans doute là depuis longtemps, mais sournois parce que bloqué dans son expansion par la fréquence de quelques maladies infectieuses comme la tuberculose, ou le typhus exanthématique. À cause des avancées médicales, ces barrières sont levées, et par surcroît, la brèche transfusionnelle s’ouvre, liée à la découverte des groupes sanguins, avec l’universalisation des seringues médicales. Ajoutez le brassage touristique des populations et la libération des mœurs...

Reste le constat : l’explosion de la maladie est, de fait, liée au progrès.

Pendant ce temps, du déni de départ, le milieu gay est passé à la “cosmocriminologie” (tous les autres sont nos assassins). Act up est fondée en 1987. Les médecins, les politiques, les médias sont maintenant accusés de se croiser les bras, sinon de favoriser l’épidémie parce qu’elle touche prioritairement les homosexuels.
Il y a, c’est vrai, une certaine pusillanimité gouvernementale,mais elle est en réalité faite d’antiracisme et de bons sentiments: crainte de stigmatiser par des enquêtes préalables les donneurs de sang, crainte de priver le milieu carcéral d’une forme de réinsertion (par le don du sang) dans le tissu social....... Et quand, dessillés, on prendra des mesures de filtrage des donneurs, les médias s’inquièteront d’atteintes à la vie privée!

Pour la réflexion, l’histoire du Sida met bien en lumière cette conséquence de l’humanisation forcenée du monde : l’accusation illimitée. Le progrès aidant, le scandale des catastrophes a cessé d’être métaphysique (Voltaire) pour devenir presque intégralement politique (Rousseau). L’artificiel élimine l’accidentel, mais du coup sonne le glas de l’innocence. Tout se pénalise, même l’inadvertance, par l’extension sans borne du domaine de la responsablilité. Reprenant à son compte les excès dont il est la conséquence et reculant sans cesse les frontières de l’imputabilité, c’est le droit à son tour qui enjambe les limites et s’inscrit dans la domination du “Pourquoi?” sur l’existence. Courant puissant qui nous entraîne dans un impitoyable “et-ainsi-de-suite”, au delà du “trop loin”.

Pour faire en sorte que “quelque chose comme du donné demeure” (Elisabeth de Fontenay), il nous faut en appeler à la vertu, la vertu qui nous permettrait de nous arracher à l’enfermement de ces deux principes mortifères: la “computation” qui affirme la calculabilité de tout et “l’imputation” , qui cherche un coupable dès que le calcul est pris en défaut.

BREFS COMMENTAIRES.

La vertu comme programme. Inoui, non?
Cette dernière leçon, sans relire les précédentes, est une analyse désabusée au fond de nos travers. François de Closets, naguère, écrivait “Toujours Plus”. On n’en est pas si loin ici.Toujours plus, oui, à tout prix et dans la plus totale inconséquence: les coupables sont toujours en face. Mais ce réflexe est tant intégré à notre nature ... qu’il n’y a là qu’évidences et truismes. Simplement, ce sont les références, les citations, les mises en perspective, qui basculent élégamment dans le culturel un fond commun de conversations de comptoir. Peut-il en être autrement? Nous n’échappons pas à ceci, qu’une banalité dont on parvient à trouver trace chez Aristote accède au statut philosophique tandis que son énonciateur s’intellectualise à référencer ainsi un propos sans la moindre épaisseur.

Attaque ad hominem, l’auteur en point de mire? Non, tout ce qui est dit l’est bien, et est juste. Simple remarque dégrisée des impostures philosophiques et des postures qui vont avec (que ne pratique pas Finkielkraut). Tous, nous pensons peu, et rarement. L’art, c’est la mise en forme. Nos inventions nous débordent et nous dépassent. Banal. Mais quand Paul Valery le formule, la banalité accède à la profondeur, parce que c’est Valery, parce qu’il l’énonce bien, mieux. Le style est essentiel. La forme, c’est souvent le fond (ou l’inverse).

Pour le reste? Linéairement très instructive, la leçon aura, je pense, été à profit pour les élèves de l’X, à grand profit. Hugo, Prométhée, Proudhon, Gœthe, Hésiode, Eschyle, Coubertin, Serres, Spinoza, Pic de la Mirandole, Francis Bacon, Hans Jonas, Lucrèce, Epicure, Hobbes, Tocqueville, Voltaire, Rousseau.... en gros, que du beau monde, et pour parler d’artefacts qui nous débordent, de limites franchies, de clonage, de dopage, de sida et d’ESB, d’exploitants agricoles....

Un sacré panorama! Et ne pas se méprendre sur mon discours, ou son ton! J’ai vraiment trouvé ça clair, et fort, et riche! Tout fout le camp? Possible, mais quel panache dans l’énoncé! Et la vertu pour finir... Ah! La vertu! À y bien réfléchir, on n’est pas si loin d’un monde meilleur, bien meilleur... Il suffirait de changer l’Homme. On en reparlera.

C’était la dernière leçon ... Il faudra que je me relise sur l’ensemble des résumés produits et tente un bilan. C’est la moindre des choses. Pas facile, il me semble. On verra bien.

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