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AutreMonde
20 février 2006

Le Procurateur de Judée - Anatole France

Petite bibliothèque Rivages poche. 4€ . Postface de Leonardo Sciascia.

C’est un tout petit livre (une soixantaine de pages, postface incluse), pêché dans les recommandations d’une fin d’émission, un dimanche soir, sur France-inter (Le masque et la plume).

Leonardo Sciascia, dans sa postface, outre qu’il se délecte de la mise à jour des sources historiques de France (le latin Tacite (55 - 120 environ)- Annales & le juif Flavius Josèphe (37 - 100 environ) - La guerre des juifs), se plaît à rectifier, dans un pédantisme sourcilleux qui m’amuse d’autant plus que - quand j’en ai les moyens... - c’est mon regrettable défaut, quelques menues erreurs sans incidence sur le fond: Sulpicius Quirinus est en réalité Publius Quirinus, Pilate n’est pas procurateur de Judée mais préfet (præfectus) ...

Le récit de France, qui mérite l’explication de textes et où Sciascia voit une apologie du scepticisme et donc, dit-il, de la tolérance qui en est la fille, tombe à pic en ces temps d’anathèmes.... et tandis que les portraits caricaturés de Mahomet permettent aux médias de fournir aux sots l’occasion de prendre exemple sur les débordements des imbéciles pour tenter quelque surenchère, voilà qu’on lit, dans ces pages publiées en 1902, quelques allume-feux pour polémiques complémentaires :

S’agissant des juifs (c’est Pilate qui parle, et une note rappelle, pour parer à tout amalgame, qu’Anatole France a témoigné en faveur de Dreyfus) : Tu connais mal ces ennemis du genre humain. Tout ensemble fiers et vils, unissant une lâcheté ignominieuse à une obstination invincible, ils lassent également l’amour et la haine. (page 21)

Et plus loin (page 39), dans un style qui ferait la joie des intégristes du Hamas : On ne viendra pas à bout de ce peuple. Il faut qu’il ne soit plus. Il faut détruire Jérusalem de fond en comble. Peut-être, tout vieux que je suis, me sera-t-il donné de voir le jour où tomberont ses murailles, où la flamme dévorera ses maisons, où ses habitants seront passés au fil de l’épée, où l’on sèmera le sel sur la place où fut le temple. Et ce jour là, je serai enfin justifié.

Certes, il y a un contradicteur, plus ouvert (!), tolérant aux coutumes des autres, mais sa peinture (page 43) de Marie-Madeleine, qui avec d’autres se mit à suivre “un jeune thaumaturge galiléen (... qui ...) fut mis en croix pour je ne sais quel crime” , pourra en outrer certains, qui ont la bondieuserie prude : J’ai connu une juive de Jérusalem qui dans un bouge, à la lueur d’une petite lampe fumeuse, sur un méchant tapis, dansait en élevant les bras pour choquer ses cymbales. Les reins cambrés, la tête renversée et comme entraînée par le poids de ses lourds cheveux roux, les yeux noyés de volupté ardente et languissante, souple, elle aurait fait pâlir d’envie Cléopâtre elle-même. Sacré Jésus! Si on se fie au Da Vinci Code ... il y a décidément des maris comblés!

On trouve aussi, au long de ces pages au style ciselé à l’antique, des échos anachroniquement anticipés de l’article 4 (en voie de disparition) de la loi du 23 février 2005, sur les aspects positifs de la colonisation.... Ainsi (page 30) de la conquête romaine : Pourtant Rome n’est-elle pas la mère et la tutrice des peuples qui tous, comme des enfants, reposent et sourient sur son sein vénérable ? Nos aigles ont porté jusqu’aux bornes de l’univers la paix et la liberté. (..) N’est-ce point seulement depuis que Pompée l’a soumise que la Syrie, autrefois déchirée par une multitude de rois, a commencé de goûter le repos et les heures prospères ?

Et si on mettait ce petit bouquin au programme des collèges ? Un commentaire l’autre jour voulait chasser la politique de l’École... Mais non, il faut au contraire l’y faire entrer, en n’hésitant pas à discuter de textes comme celui-là, et dans le sens de Sciascia, pour y lire des leçons de tolérance, en abordant les polémiques au fond au lieu de les laisser dans le bruit et la fureur des superficialités audio-visuelles.

Et puis, chemin faisant, on élargit ou on révise son vocabulaire, et ses connaissances.
La toge prétexte est là, blanche et bordée de pourpre, que les jeunes patriciens portaient à Rome jusqu’à l’âge de seize ans (et aussi certains hauts magistrats). On croise le grec Epicure (~341 - ~270) qui fonda à Athènes l’école du Jardin, et on repense à Horace (~65 - ~8) ouvrant la porte à la caricature en évoquant “ses pourceaux”. On note une allusion à Lucrèce (~98 - ~55) et à son De natura rerum. On resitue la Campanie et le golfe de Naples avec ce Pausilippe que Gérard de Nerval décréta altier (Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse / Au Pausilippe altier, de mille feux brillants / À ton front inondé des clartés d’Orient / Aux raisins noirs mélés avec l’or de ta tresse) et le cap Misène, où Pline l’Ancien commandait la flotte romaine en ~79, lors de l’éruption du Vésuve qui engloutit Pompéi et qui le tua. On nous parle de Caïus qui succéda à Tibère, soulignant ainsi que Caligula n’était qu’un surnom et on se souvient, alors, qu’il aimait trop sa sœur et voulait nommer consul son cheval.

Qui trouve-t-on encore sur ce chemin de prose? Ah! Les champs Phlégréens, région volcanique à l’ouest de Naples, autour de Pouzzoles, où s’observent encore des cratères non éteints sur lesquels planent des vapeurs sulfureuses. Le terme vient du grec flegw (phlégo) qui signifie “enflammer”. Et puis les Hiérosolymites, croyants respectueux -et au delà- du Livre et de la tradition et qui crient vite à la profanation. On en voit éventuellement sur le stylobate du temple, partie où sont les colonnades et, à l’évocation d’Hérode Antipas on s’en va vérifier qu’il mourut assez tard pour justifier l’expression “vieux comme Hérode Antipas” . Non, cet Hérode là ne concurrence pas Mathusalem (patriarche biblique de quelques 969 ans !), il s'en faut de beaucoup ... Tétrarque de Galilée, fils comme de bien entendu de son père, Hérode le Grand, qui ordonna le massacre des innocents , on le donne pour né en ~21 avant de l’envoyer s’éteindre en exil et “par chez nous”, à Saint-Bertrand de Comminges, en 39. Ce qui lui fait une piètre longévité : 60 ans! Avoir pris pour femme Hérodiade, la trop belle épouse de son frère , n’avoir pas su résister au charme de la fille de celle-ci, Salomé, dansant ce qu’Oscar Wilde baptisera “Danse des sept voiles” et qui permettait d’admirer - c’est Saint Ambroise, moraliste chrétien du IV° siècle, qui tient à nous le préciser - “les parties de son corps que les mœurs apprennent à cacher” , puis en avoir, sous influence, fait décapiter ce malheureux Jean-Baptiste, finalement, cela épuise plus que conserve!

Etc.? Soit, etc.

Mais encore une chose, et qui m’est chère. En musant plus ou moins, ainsi, d’une idée l’autre, on avance et j’aimerais qu’à ce pas, avancent les élèves et les professeurs, et le dialogue de classe, et la découverte de ce vaste fond de références qu’on traverse ensemble avec un étonnement amusé et qu’on oublie aussitôt, comme un paysage vu d’un train, mais qui, à sa façon, nous rapproche dans une rêverie commune . Ainsi aussi d’Anatole France, ici l’auteur, ailleurs le personnage, Bergotte dans la Recherche, chez Marcel Proust, contemplant comme horizon illimité et pourtant fini de sa prochaine fin le petit pan de mur jaune de Vermeer de Delft, d’où on revient vers nous, oui, vers ... “le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui” (Mallarmé ... on va arrêter, d’accord), par le beau film de Peter Webber, La jeune fille à la perle, avec la délicieuse Scarlett Johansson, tiré du roman inspiré (et éponyme ; éponyme est très tendance : “qui donne son nom à” , le roman, précédant le film et fournissant son scénario, lui a donné son nom ... qui n’est autre que celui d’un tableau de Vermeer) de Tracy Chevalier. Oui, décidément, j’aimerais qu’enseigner, ce pût être cela.
                                              ..... Allons, il ne faut pas renoncer. L’utopie seule est constructive.....

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