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AutreMonde
31 janvier 2006

ENTRE LES MURS - Saga pédagogique de François Bégaudeau

Vade Mecum du Professeur de Collège
Remboursé par la MGEN. Verticales (Éditeur) . 16,90 € .

C’est Le Monde des Livres de vendredi dernier qui m’a fait me précipiter à la librairie Compagnie. Un article de Jean-Luc Douin y vantait le bouquin : “Un formidable roman de François Bégaudeau en forme de montage littéraire”.

Acheté et lu. Et confirmé : ce roman est FOR-MI-DA-BLE !
Certainement rédigé à partir d’une prise de notes au long cours de l’année scolaire 2003 - 2004, il restitue les 136 jours effectifs de présence en classe du narrateur- professeur-de-français en cinq chapitres intitulés Vingt-cinq, Vingt-huit, Vingt-six, Vingt-sept et Trente qui sont le portrait-reportage de l’intérieur le plus vrai (et le plus émouvant à sa façon) que j’aie jamais rencontré sur les conditions d’enseignement en collège aujourd’hui.

Le plus talentueux aussi. La maîtrise qu’a l’auteur du langage parlé (et écrit) des collégiens (on est, semble-t-il (page 251), au Collège W.A.Mozart, 7 rue Jomard, Paris, 19° arrdt) est totale. L’ambiance de classe est remarquablement saisie et rendue, dans ce foutoir inimaginable pour qui n’enseigne pas qu’est la relation pédagogique actuelle, les incessantes altercations inter-individuelles, les questions récurrentes et parfaitement oiseuses, on parle, on se lève, on bouge, c’est la guerre pour faire ôter la capuche, c’est la recherche constante de l’affrontement, le goût des “marques”, le Ramadan et l’Aïd qui flanquent des semaines en l’air (à Victor Duruy où j’ai fonctionné deux ans , 7° arrdt, beaux quartiers, c’était Yom Kippour (le Grand Pardon) qui me bousillait la séance)... et la Coupe d’Afrique de foot bien sûr qui dégénère en classe en insultes ethniques, etc.
Il faut y aller lire!

Je n’ai pas immédiatement compris l’intitulé des chapitres. Ce sont simplement les décomptes des jours ouvrés du narrateur sur les cinq phases qui scandent l’année: quatre demi-trimestres bornés successivement par les congés de Toussaint, de Noël, d’Hiver et de Pâques et, in fine, le troisième trimestre en peau de chagrin comme ultime et cinquième séquence, pas plus nourrie, jours fériés de Mai-Juin et Brevet obligent, que les autres. Epoustouflante narration des rentrées, avec le retour, chaque fois, de la dernière halte à la brasserie du coin avant de se décider, des mêmes attitudes épuisées des collègues, des mêmes échanges harassés des uns et des autres, de la même mise en place de ces adolescents immaîtrisés dans leur paradoxale agressivité soumise, et le climat de la salle des profs comme si on y était, la photocopieuse, les casiers, la cour, les couloirs, les escaliers... Non, une merveille.

Bien sûr, quand on est “de la maison”, on trouve toujours des remarques à faire. Bégaudeau décrit Mozart, j’ai connu Villon (14° arrdt - Montrouge) et Berlioz (18° - Pte de Saint Ouen). Il me semble que dans les deux premiers tiers du bouquin, le climat dépeint ici est moins tendu que dans mes souvenirs personnels, les gamins “s’en battent les yeulks” plus souvent qu’ils ne “s’en battent les couilles”, pourtant base même en général de toute réaction à une remarque; le prof “charrie” les gosses et ça ne dérape pas aussi loin que je l’aurais pronostiqué ... En même temps, il se met en classe presque au même niveau de langue qu’eux et dialogue des échanges de salle des profs où le trait me semble un peu outré dans le relachement du style : le seul adulte de l’établissement à utiliser correctement la négation est le principal. Un os, dans le vécu: Bégaudeau laisse la classe seule pour conduire un récalcitrant chez le principal? Faute professionnelle carrément impensable et impossible! Et risque énorme! Mais ce sont des détails. On y est et la réussite narrative me semble indépassable, vraiment.

Ce livre vaut tous les rapports officiels et toutes les doctes réflexions sur l’état actuel du système éducatif . Il vaut cent fois à lui tout seul les conclusions du rapport Thélot (voir page 56 le défilé des questions de la commission du Débat sur l’Avenir de l’École, défilé caricatural dès lors qu’il est mis “en situation”, surtout quand on sait ce qu’ont pu être les débats en ZEP) . Il doit absolument être lu par tous les étudiants d’IUFM. Ils ne trouveront pas mieux comme introduction à ce qui les attend. Quand on compare à l’apport d’informations de cette photographie du réel, la bonne volonté pour tout dire un peu niaise d’opuscules comme la “Lettre à un jeune professeur” publiée à l’automne dernier par Philippe Meirieu, on a quand même envie, littéralement, de “se taper le cul par terre”. L’enseignement aujourd’hui, c’est ça, et rien d’autre. Et je crois même qu’inscrire le bouquin au programme de lecture d’une classe de troisième serait porteur d’échanges extrêmement fructueux . Je le conseille vivement, ça ouvrira des perspectives aux gosses.

Oh, les enseignants ne sont pas gâtés, on les voit dépassés, à peine au fond pour certains plus matures que les gamins, déboussolés, à cent lieues de pouvoir donner un sens à cette notion de “projet d’établissement” dont on leur bat et rebat les oreilles (une erreur - de frappe sans doute- en page 144 : la DHG, c’est la Dotation Horaire Globale et non la Division (?) Horaire Globale!), embarqués dans des réunions qui ne les mobilisent pas, dans des conseils de classe qui ne peuvent rien régler, impuissants, conscients de leur impuissance, en transit, en attente de la “mute” (mutation) qui leur fera croire quelques temps qu’ils vont pouvoir aller vers autre chose....

Et pourtant, il y a une sacrée tendresse dans tout ça, que Bégaudeau en soit ou pas conscient, qu’il s’en défende ou pas, tendresse pour la langue, pour les gamins, pour les collègues. Formidable portrait de prof que le sien, en majesté, de jeunes, d’établissement scolaire ... formidable et au bout du compte profondément désespérant. On a nommé un Haut Conseil de l’Éducation pour réfléchir au socle commun et au reste ? Voilà le premier livre sur lequel il devrait se pencher, pour le lire, le mettre à l’ordre du jour et le discuter en profondeur. Il vaut toutes les auditions qu’il a dû prévoir.

Vraiment, ce roman doit être ”étudié” avec soin par l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale, de l’instit au ministre. Les corps d’inspection doivent séance tenante prévoir des séminaires autour. C’est une exigence et une urgence absolues. Voilà l’état des lieux, le vrai.

Et maintenant, comment faire ?

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