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AutreMonde
22 janvier 2006

Yoko Ogawa et ses Mathématiques (I)

"La formule préférée du Professeur"

Un premier coup d’œil mathématique d’aide-ménagère (zéro ; formule d’Euler)…

Dans ce petit livre comme ailleurs, souvent, parler de mathématiques, c’est essentiellement parler chiffres. Les formes géométriques y sont occultées et le « professeur » est surtout un passionné des nombres « premiers ».C’est autour de cette notion que tournent ses préoccupations. Mais examinons deux, trois choses avant cela ………….

Ceci: le professeur aime beaucoup le « zéro », qui lui semble, poétiquement, avoir été inventé pour donner une existence à l’inexistant puisque en parler, c’est ne parler de rien ou plutôt, c’est parler du rien !: « Et il y a eu quelqu’un (…) pour exprimer le rien par un chiffre. Il a fait exister l’inexistence. N’est-ce pas merveilleux ? »

Donc... deux mots du « zéro » … C’est un mot italien, dérivé de l’arabe « sifr » qui signifie « vide », « rien », et qui donnera également le mot « chiffre ». On place l’apparition concrète de signes, de symboles, marquant une « absence » autour des années 500 de notre ère, chez les prêtres-astronomes mayas (donc en Amérique centrale), mais le codage « moderne » (le 0) est rattaché à une stèle découverte à Gwâlior, ancienne cité-forteresse de l’Inde (partie nord, 200 km environ au sud de New-Dehli) qui parle du legs, en 933, d’un drap dont l’une des mesures est codée 270. L’invention du symbole semble bien indienne.

Toutefois, pour géniale qu’elle soit, la trouvaille ne relève que de la convention. Pas de "merveilleux" là dedans.. En Occident, c’est Léonard de Pise (Leonardo Fibonacci : 1175 – 1240) qui l’introduit. Il transforme « à l’italienne » le « rien », connu comme sunya en sanscrit et comme sifr en arabe , en zefiro, vocable qui va finalement se contracter, s’abréger et se fixer en zéro, forme attestée en 1491.

Et encore ceci:  l’aide-ménagère, rejoignant le professeur, mais avec des arrière-plans différents, rêve sur l’apparition du symbole zéro (0) dans la relation d’Euler : eip+1=0. Elle y ressent grâce à lui la convergence d’entités mystiques, écrites « dans le carnet de Dieu » et que seul certains humains savent apparier… Les élus ? On navigue au bord du mythe et du délire irrationnel.

Voyons un peu ça . Reconnaissons que la formule est effectivement exceptionnelle. Tobias Dantzig (1884 – 1956) , mathématicien russe ayant émigré aux Etats-Unis, en disait : «(elle contient) les symboles les plus importants : union mystérieuse dans laquelle l’arithmétique est représentée par 0 et 1, l’algèbre par i (c'est-à-dire « racine carrée de -1 », le premier des nombres dits «  imaginaires », on y revient tout à l’heure ) , la géométrie par p et l’analyse par e ( sur ce symbole « exponentiel », le livre de Yoko Ogawa est  en pratique auto-suffisant ), où l’arithmétique est le domaine des nombres, l’algèbre le domaine des équations, la géométrie le domaine des formes et l’analyse le domaine des fonctions. La formule est exceptionnelle, mais elle n’est pas « magique » !

Quelques lumières sur le symbolisme « conventionné » :   eip….

Quand on se déplace dans le plan (dans un plan), on peut commodément s’y repérer en choisissant d’abord un point fixe, qui servira d’origine (on va l’appeler O), puis en traçant un cercle ayant pour centre ce point O et pour rayon 1 (l’unité importe peu , ce n’est qu’une question d’échelle). A partir de là, pour désigner précisément un point du plan, il suffira d’une part de se servir du cercle pour indiquer dans quelle direction se trouve le point, et d’autre part de préciser, dans cette direction, la distance de ce point à l’origine . On détaille…

Préoccupons nous pour le moment et seulement de cette histoire de direction.

On va en choisir arbitrairement une au départ. On déterminera les autres par l’angle qu’elles feront avec celle-là. Dans cette direction privilégiée, choisie, il y a un point du cercle. On l’appellera le point D (D pour Départ). Evidemment, toute direction définit de même un point du cercle et réciproquement, tout point du cercle définit une direction.

Notre cercle a une longueur égale à 2p (par la formule L=2xpxRqui calcule le périmètre d’un cercle de rayon R ; le nôtre a pour rayon R=1).. On se met d’accord sur un sens de déplacement le long de ce cercle et en général, on décide de tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Si on tourne de 90°, le tour complet correspondant à 360°, on a parcouru un quart du cercle. On a donc parcouru sur la circonférence la longueur p/2, quart de 2 p . Le point ainsi atteint, qui caractérise la direction obtenue après rotation de 90°, va être alors désigné par l’écriture symbolique, le « nombre symbolique » (on est dans des conventions de vocabulaire, rien de plus ; on apprend une nouvelle langue) : eip/2 .

Si on continue à tourner pour arriver, après un parcours d’un demi-cercle, au point en fait diamétralement opposé au point D, comme le parcours a été de longueur p, on désigne le point atteint par le « nombre symbolique » eip. Evidemment on arrive au point désigné/désignable par ei3p/2 au terme de trois-quarts de tour et du coup, revenant après un tour complet au point D, on voit qu’on peut aussi le désigner comme point ei2p . Si on continuait les tours, D serait également désignable comme point ei4p ou  ei6pou etc.  Remarquer que, pouvant ne pas me déplacer pour aller de D à D, je peux aussi désigner D par le nombre symbolique : ei0  .

On voit, avec cette présentation des directions, qu’on passe en revue les points du cercle.  Ils peuvent s’associer à des nombres usuels (les distances « d » à parcourir à partir du point D pour les atteindre) , puis conventionnellement se lire comme des « nombres symboliques », les « nombres » eid. Réciproquement, en utilisant la notation symbolique eid , il suffit d’exploiter le nombre usuel « d » qui s’y trouve pour définir sur le cercle, au terme d’un parcours de longueur « d », un point précis (qu’on pourra exploiter pour caractériser une direction).

L’idée centrale est là et on a vu au passage que la notation mystérieuse eip était désormais une convention, un « nombre symbolique », désignant sur le cercle de référence le point diamétralement opposé au point D choisi comme point de départ. Vous suivez ?

Par ailleurs, en ayant décidé de choisir au départ une direction privilégiée, j’ai privilégié au bout du compte un diamètre du cercle, la droite qui passe par le centre O du cercle et qui m’a fourni le point D. Elle passe aussi bien sûr par le point diamétralement opposé à D. Quand je me déplace sur cette droite, je peux décider (et c’est la convention) de désigner les points par leur distance au point O, mesurée positivement dans le sens de O vers D et négativement dans l’autre. Comme le cercle a pour rayon 1, cela veut dire que O sera le point 0, D le point « 1 » et que le point diamétralement opposé à D sera le point « -1 ».

Si je superpose mes conventions, qui doivent nécessairement être cohérentes, elles exigent que les différents « nombres symboliques » désignant un même point soient des nombres « égaux » (identiques, substituables les uns aux autres…). Et me voilà contraint donc d’accepter, pour le point D, des égalités telles que : 1= ei0 = ei2p = ei4p =… .

De même, je dois valider pour le point diamétralement opposé à D, l’égalité : eip = -1.

Mais affirmer qu’une quantité est égale à  « -1 », c’est affirmer que, si on lui ajoute 1, le résultat de l’addition est égal à 0. Et on écrira donc :  eip +1=0. C’est la relation d’Euler. Alléluia ! Convaincus ? Ah, vous devez relire ? Oui, bon, soit. Il faut faire un schéma et suivre dessus. Avec un peu de concentration, ça vient tout seul. Mais si ! Si !

D’ailleurs, deux mots encore .

Sous tout ce que je viens de présenter partiellement, il y a un repérage possible de tout le plan, de tous les points du plan, par des « nombres symboliques ». Il suffit de cumuler direction et distance. Je m'explique...

On suppose que le point qui nous intéresse est à la distance X de l’origine O que j’ai choisie, centre par ailleurs de mon cercle de rayon 1 de référence. Quand je regarde ce point en me plaçant en O, je définis une direction, donc un point du cercle, donc un nombre symbolique eid (il y a plusieurs « d » possibles, on l’a détaillé pour le point D  avec l’histoire des tours qu’on peut continuer à faire sur le cercle, mais au bout du compte, tous ces nombres symboliques eid sont équivalents (égaux)) . Et bien, ce point sera entièrement défini comme "nombre symbolique" par la notation  : X eid,    « X » donne la distance et « d » la direction.

Ainsi, le nombre (symbolique) 10eip/3 représentera le point situé à la distance 10 (unités de longueur) du point origine O dans la direction correspondant à un pivotement (par rapport à la direction de référence définie par O et D) de p/3 (c’est à dire de 60° puisque p/3 est le sixième de 2p , soit un sixième de tour complet, soit un sixième de 360°), pivotement à effectuer conventionnellement dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.

On est en  train, ici, de « retrouver » la notion de « nombre complexe » (dénomination exacte de nos « nombres symboliques » X eid), dans une approche géométrico-trigonométrique. Dans cette notation X eid, X s’appelle le « module » du nombre et d s’appelle l’ « argument ». Un nombre complexe n’est au fond qu’un point du plan et en ce sens, il n’est que la généralisation des nombres usuels, assimilables à des points sur une droite munie d’une origine et d’un sens de parcours, une droite que l’on peut graduer, après choix d’une unité,  de moins l’infini à plus l’infini…. D’ailleurs la droite de référence, celle qui passe par O et D, est graduée ainsi (avec 0 en O, 1 en D et -1 au point diamétralemnt opposé à D sur le cercle, c’est  dire symétrique de D par rapport à O, etc.).

Il resterait à apprendre à calculer avec ces nombres-points, ce qui sort quand même un peu trop du cadre de départ, le livre de Yoko Ogawa !

Voilà l’affaire . C’est au fond cela que l’aide ménagère voudrait débroussailler. Mais elle s’y essaie en fouinant en aveugle dans les rayons d’une bibliothèque et en partant sur d’autres pistes, où sont les séries entières, le logarithme et l’exponentielle (le « e » évoqué en début d’article), concepts que je laisserai dans l’ombre, mais dont ce qu’elle transcrit (et qui se suffit en termes de narration pour le non-spécialiste) manifeste de sa part une compréhension des prémices de ces notions très au dessus de ce qu’elle affirme être son seul bagage mathématique. Le lecteur de bonne volonté s’y retrouvera sans mon aide. Mieux vaut garder quelques forces vulgarisatrices pour aborder, une prochaine fois, le véritable noyau dur du livre et qui tourne autour de quelques fantaisies sur les nombres, en particulier « premiers ».

Brièvement quand même, avant de partir: Sur « i=racine carrée de -1 »… et Sur Leonhard Euler.

Les nombres complexes sont intimement liés à la résolution des équations et … à l’irritation des algébristes devant la résistance opposée à leurs efforts par l’équation :{XxX+1=0 ; trouver X }dont l’impossibilité bloque la réflexion. Ils savent que {XxX-1=0} se résout en {X=1 ou X=-1}et qu’un carré, le produit d’un nombre réel, usuel, par lui-même ne peut être négatif. Alors ? Il faut attendre les algébristes italiens de la Renaissance, Luca Pacioli (1450 – 1510), Nicollo Fontana (dit Tartaglia; 1500 – 1557), Jérome Cardan (1501 – 1576), Rafaël Bombelli (1526 – 1572), pour voir s’installer l’audace d’une manipulation pratique de nombres « symboliques », sans existence « réelle-concrète », dont cette « racine carrée de -1 » qui permettra à la théorie des équations d’aller à son terme, mais ne sera réellement formalisée en « i » qu’autour des années 1800. Le vocable de nombre « imaginaire » aura été, lui, introduit par Descartes en 1637.

Quant à Leonhard Euler ……………

Il est suisse. Né à  Bâle en 1707, il meurt à Saint-Pétersbourg en 1783. Il paiera un lourd tribut à une activité intellectuelle intense et qu’il ne ralentira jamais : congestion cérébrale et perte d’un œil à 28 ans, cécité complète à 59 ans, attaque d’apoplexie à 76 ans pour clôre cette vie de travail. Son œuvre immense embrasse la totalité des sciences exactes du siècle.

Il a malgré tout trouvé le temps de se marier et de procréer treize fois. Il dira que tenir un bébé dans ses bras au milieu des cris de ses autres enfants avait été pour lui une source d’inspiration scientifique…Un saint homme assurément! …

Formé à l’école des Bernoulli (véritable dynastie de mathématiciens et de physiciens suisses qui ne compte pas moins de onze représentants sur quatre générations, de Nicolas « l’Ancien », né en 1623, à Daniel II mort en 1834), Euler enseigna à l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, auprès de Catherine II de Russie, de 1727 à 1741, puis de nouveau à partir de 1766, après une interruption consacrée à la direction de la section « mathématiques et physique » de l’Académie de Berlin, sur la sollicitation de Frédéric II de Prusse.

Il avait vulgarisé autour des années 1770 quelques unes de ses idées au bénéfice de la princesse d’Anhalt-Dessau, nièce de Frédéric II, dans des « Lettres à une princesse d’Allemagne », traité dans lequel, et le seul de son temps, il envisage une possible nature ondulatoire de la lumière.

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