Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
11 janvier 2006

YOKO OGAWA

LA FORMULE PRÉFÉRÉE DU PROFESSEUR

Roman traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle

******************************************
(Actes Sud)
°°°°°°°°°°°

C’est un joli bouquin, au format longiligne et aux couleurs pastel. On lit en quatrième de couverture: Yoko Ogawa a obtenu pour ce livre (....) le prix de la Société des mathématiques pour avoir révélé au lecteur la beauté de cette discipline. Le prix de quelque association de base-ball ne lui aurait pas non plus été un hommage immérité!

Il y a en effet dans ce roman, outre trois personnages, deux passions. Les personnages sont un vieux professeur, son aide-ménagère et le jeune fils de celle-ci. Les deux passions sont le base-ball et la théorie des nombres.

J’y suis allé un peu “à reculons”. Le livre m’était offert par une main fraternelle, mais le thème me laissait rêveur. Et ... tout est justement du domaine du rêve. C’est un grand conte assez touchant, assez émouvant, même si parsemé de notations encore plus hermétiques (pour le lecteur non informé du sujet que je suis) dans le domaine du base-ball que dans celui de l’arithmétique (où je retrouve à peu près mon chemin).

Les personnages, d’abord, méritent qu’on s’attache à leurs relations. Donc lire et se laisser porter...
Mais un thème étonnant s’ y trouve ouvert: la femme, l’enfant, peuvent découvrir, puis aimer , nul ne s’en étonnera, le vieil homme qu’ils côtoient tout au long d’une année (celle des J.O. de Barcelone- 1992). Mais lui? Que dire et comment envisager une affection vraie de la part d’un homme qui à la suite d’un accident a figé ses souvenirs à la date du drame et, au delà, ne peut mémoriser que des événements qu’il ait traversés dans les quatre-vingts minutes précédentes? Ensuite, tout est à recommencer, et d’abord les présentations....
On y croit parce qu’on veut y croire, mais un sentiment de quatre-vingts minutes et qui ne laisse pas de trace, que construit-il? La certitude (à son insu) de pouvoir, sans doute à l’identique, se répéter ?

Pourtant c’est une poésie progressivement envahissante (et bienvenue) qui remplit les pages de ce journal que tient l’aide-ménagère-narratrice, journal triste, journal gai, journal plein d’optimisme (et parfois de philosophie) d’une relation à semi sens unique, et le pari de l’émotion à faire naître est finalement bien gagné.

Mais voilà, il n’y a pas que les personnages, il y a les passions! Et quelles passions! Et je crois qu’elles méritent, elles, plus que quelques commentaires.

Pour le base-ball, je sors convaincu par ce roman “japonais” (qui ne me fut, au départ, qu’une affectueuse obligation) qu’il faut décidément que je regarde un peu ses règles si je veux continuer , ô paradoxe, à lire la littérature américaine qui fait plus souvent mes délices.
Apparemment, l’empire du Soleil Levant a développé pour cette anglo-saxonnerie une passion irréfragable, et concurrente de celle dont tout film US et tout roman d’outre-atlantique digne de ce nom porte l’épuisant témoignage. Jusqu’ici j’ai différé, rasant les murs, regardant sans comprendre et lisant sans lire. Le pourcentage des pertes en ligne était assez faible, restait tolérable. Mais la méthode a atteint, avec ce roman-ci, ses limites. Aucun doute, il faut y aller......

Et puis il y a une forme de convergence entre cette passion “base-ball” et le goût pour les mathématiques, convergence qui ouvre des horizons inattendus sur ce que je perçois comme une forme d’immaturité ou d’infantilisme chez le mathématicien américain standard. Le roman nous en livre accessoirement un exemple fort. Je reviendrai dans une “leçon” (?) ultérieure sur les concepts élémentaires mis en jeu, mais l’affaire vaut son pesant de cacahuètes et je ne résiste pas au plaisir d’en livrer une version immédiate. La voici:

Les protagonistes assistent à un match de base-ball. Les sièges du professeur et du garçon portent les numéros 714 et 715. Émerveillement!: ces deux nombres entiers constituent une paire dite “de Ruth-Aaron”.

La notion de “paire de Ruth-Aaron” concerne les couples d’entiers consécutifs de type (n, n+1) dont les facteurs premiers ont, pour chacun, la même somme. Ce qui veut dire? N’introduisons que par l’exemple:

n=5 et n+1=6 . L’entier 5 ne peut s’écrire que sous cette forme (5=5); 6 peut s’écrire en produit de facteurs (6=2x3) et c’est sa “décomposition” la plus simple. On dit que 5 est l’unique facteur premier de 5 et que 2 et 3 sont les facteurs premiers de 6. Or : 5 = 2+3. Les entiers 5 et 6 ont même somme de leurs facteurs premiers: ils constituent une paire de Ruth-Aaron.

n=24 et n+1=25. On peut décomposer au plus simple : 24=2x2x2x3 et 25=5x5. On ne tient pas compte pour cette introduction rapide de la répétition du 2 ou du 5: l’entier 24 a pour facteurs premiers 2 et 3 et 25 a pour seul facteur premier 5. Or : 5=2+3. Les entiers 24 et 25 ont même somme de leurs facteurs premiers: ils constituent une paire de Ruth-Aaron.

Encore?

n=104 et n+1=105. On peut décomposer au plus simple : 104=2x2x2x13 et 105=3x5x7. L’entier 104 a pour facteurs premiers 2 et 13 (on ne tient pas compte, on l’a dit, des répétitions ) et 105 a pour facteurs premiers 3, 5 et 7. Or : 2+13=15=3+5+7. Les entiers 104 et 105 ont même somme de leurs facteurs premiers: ils constituent une paire de Ruth-Aaron.

Vu?

D’où la constatation facile : 714 et 715 constituent encore une paire de Ruth-Aaron . En effet:
714 = 2x3x7x17 avec: 2+3+7+17=29
715= 5x11x13 avec: 5+11+13=29

En général, quand vous tombez sur un résultat (ou une dénomination) mathématique comme : ”Théorème de Pythagore”, “Crible d’Eratosthène”, “Formule d’Euler”,etc., les noms propres affectés sont ceux des mathématiciens qui ont démontré le résultat ou forgé la notion. Ah oui, mais ça, c’était avant l’Amérique du base-ball! ....

En 1935, le grand joueur Babe Ruth établissait un record absolu en réalisant son 714-ième “home run” , envoyant donc pour la 714-ième fois de sa carrière la balle au delà des limites du terrain sans que l’équipe adverse puisse la récupérer! Or, le 8 avril 1974, le dénommé Hank Aaron battait ce record vieux de bientôt quarante ans et réalisait, lui, son 715-ième “home run” bien qu’ayant comme adversaire direct, vous l’aurez noté, le redoutable Al Downing, de l’équipe des Dodgers!

L’Amérique scientifique, pétrifiée d’admiration, comprenait qu’à quarante ans de distance, deux joueurs mythiques s’inscrivaient dans la longue histoire des nombres en élisant, par leurs performances, deux entiers naturels consécutifs qui etc. Le baptème était incontournable: ce type de couple d’entiers consécutifs ne pouvait pas s’appeler autrement que “paire de Ruth-Aaron”.

Mon Dieu! Ce qu’il ne faut pas entendre!
Cela me renvoie à la réaction du héros de Robert Musil, dans “L’homme sans qualités”, renonçant définitivement à tout effort intellectuel après avoir entendu un chroniqueur hippique qualifier de “génial” le pur-sang vainqueur de l’épreuve dont il rendait compte. Si un cheval peut être “génial”, à quoi bon lutter?

Moi aussi, soudain, en rapportant ma petite histoire, j’ai le désir fort de renoncer à tout jamais à vouloir comprendre quoi que ce soit aux mathématiques...............

Bah, il faut se ressaisir! Demain sera un autre jour et demain, on pourra aborder les apprentissages. En prévision donc, et dans un ordre non encore arrêté: une “leçon” de base-ball (pour fixer le vocabulaire) et une relecture des éléments d’arithmétique et de théorie des nombres égrenés au long du roman, relecture en forme de “leçon” espérant les resituer clairement dans une mathématique élémentairement accessible et historiquement contextualisée. Diable! Enfin, on verra....

Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité