Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AutreMonde
5 janvier 2006

FINKIELKRAUT:"Nous autres modernes". Leçon n°2.

TITRE DE LA LECON : LES DEUX CULTURES .
RÉSUMÉ. Les NOTES puis les REMARQUES seront ajoutées ultérieurement.

******************************************************

Colonne vertébrale-prétexte de la leçon: la référence à Charles-Percy Snow (1905 - 1980), physicien et romancier anglais. Son livre “The two cultures and the scientific Révolution”, qu’il commente en conférence, fait polémique en 1959. Snow affirme l’impossibilité désormais d’englober les Lettres et les Sciences dans une “belle” totalité nommée “Culture”. Il y a deux cultures, deux mondes, deux humanités, dans l’incommunicabilité et le principe d’exclusion.

A. Finkielkraut s’engage à partir de là dans un survol de ce qu’a été, de l’antiquité classique à aujourd’hui, notre vision du monde au regard des évolutions culturelles liées aux progrés de la pensée rationnelle, de la volonté de rationalité, mouvement “moderne”.

Sa conclusion est pessimiste, dépassant l’affirmation de Snow pour exhiber des querelles non moins fortes au sein même des deux domaines constitués par celui-ci et accusant pour finir l’émergence et le développement du champ complémentaire des Sciences humaines (de la Sociologie) de dissoudre dans un soi-disant sourire démocratique (démagogique?), en clamant “Anything goes...” (N’importe quoi convient...), le statut et le sens de la Culture Générale.

Dans l’intervalle, Finkielkraut aura successivement passé en revue, exposé, développé des rappels, des précisions, des idées sur :

* LE LIBÉRALISME DES ANCIENS

Le concept actuel de culture générale en est la trace résiduelle. Ce libéralisme est né du souci de s’élever par la philosophie (“... elle qui arrache les vices jusqu’aux racines, prépare les âmes à recevoir les semences...” - Cicéron), philosophie qui est effort de réponse à la question “Qu’est-ce que?” (car: “... c’est pour dissiper leur ignorance que les hommes ont cherché à philosopher” - Aristote).

Ce libéralisme, c’est celui des “Arts libéraux” (qui libèrent l’esprit, qui s’adressent à des esprits libres de toute contrainte: “Tous les besoins ou peu s’en faut étaient déjà satisfaits en ce qui concerne la commodité de la vie et même son agrément quand survint la pensée de ce genre d’investigation” - Aristote). Ces Arts libéraux sont au nombre de sept et clairement organisés comme tels au Moyen Âge: le Trivium (grammaire - dialectique - rhétorique) , suivi du Quadrivium (musique - arithmétique - géométrie - astronomie). Ils jouent un rôle propédeutique car la philosophie, quête des choses premières, demande une préparation et seul un esprit déjà cultivé peut accéder à sa culture. On voit dans la dichotomie Trivium / Quadrivium le distinguo Lettres - Sciences , mais Snow est encore loin!, ici il y a succession, une succession collaborante, non un antagonisme. Ce n’est toutefois qu’une préparation aux choses supérieures, non une fin: “Nous ne devons pas étudier les Arts libéraux, mais les avoir étudiés” - Sénèque.

** LE “DÉCOURONNEMENT DE LA MORT” À LA RENAISSANCE .

Et puis Montaigne vint ... Montaigne ou l’anti-Socrate, Montaigne qui délocalise-relocalise la mort dans une perspective humaine, Montaigne qui repousse le “memento mori” , la ligne de conduite antique, tant, nous dit-il: “.. il m’est avis que [la mort] est bien le bout, non le but de la vie”.
Socrate, mourant, voyait sa vie délivrée de sa prison charnelle? La métaphysique va changer de sens: Montaigne nous recentre sur le corps, lui qui veut “savoir jouir loyalement de son être”, car “la vie doit être elle-même à soi sa visée, son dessein”, en l’assumant dans des petitesses qui nous gardent, par l’humilité des viscères, de l’orgueil de la puissance comme des illusions de la sagesse puisque: “... les rois et les philosophes fientent, et les dames aussi”.
Du coup, les Arts libéraux ne libèrent plus l’homme DU monde humain mais POUR ce monde humain même, où il convient d’être, pleinement. Les (belles) lettres quittent le bas de l’échelle (le Trivium, tremplin du Quadrivium), elles prennent valeur pour elles-mêmes, elles s’égalent à ce qui leur succédait, elles nous aident à mieux saisir l’humaine condition dans son entier. Saint Augustin se reprochait d’avoir pleuré sur les amours de Didon... Un millénaire plus tard, Léon-Battista Alberti réhabilite ses larmes, leur confère même valeur éducative: on apprend par les émotions de la lecture. Assez de l’ascèse et de la contemplation purement intérieure, regardons, observons: “... car il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, que n’en peut rêver votre philosophie” (Shakespeare - Hamlet).
Plus rien désormais n’est indigne de ce déploiement de la culture libérale qui atteint son acmé avec Léonard de Vinci (“Il y eut une fois quelqu’un...” dira Paul Valery) dont le regard à l’indépassable polyvalence unifia, avant leur inéluctable cassure à l’âge suivant des spécialisations, les Sciences et les Lettres (les Arts).

*** LA DÉCRÉDIBILISATION DE LA LITTÉRATURE.

Arriva Galilée. Son abjuration du 22 juin1633 est peut-être, paradoxalement, le coup d’envoi de l’ère moderne au sens de la polémique lancée par Snow, au sens de la querelle des deux regards (scientifique - littéraire). Eppur, si muove ... aurait-il dit après l’abjuration, et la Science comme expérimentation va l’emporter sur la Science comme expérience contemplative. Il énoncera: “L’univers est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des (...) figures géométriques sans le moyen [desquelles] (...) [la vie, la quête de la connaissance] est une errance vaine dans un labyrinthe obscur”. Les figures géométriques de Platon élevaient l’âme au dessus du terrestre et les voilà qui vont maintenant, désormais, mettre au même niveau la terre et le ciel, retissant l’univers en une tunique sans couture.
L’universalité des lois physiques va désenchanter la nature qui, privée de sa hiérarchie, cesse d’être le reflet de la splendeur divine : l’âge symbolique est clos. Baudelaire a d’avance tort : “La nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles / L’homme y passe à travers des forêts de symboles / Qui l’observent avec des regards familiers ....”? Non! Le mystère se dissout dans l’expérimentable, le mystère devient maîtrisable!
Mais en abandonnant le géocentrisme de Ptolémée, Galilée relayant Copernic n’a pas pour autant, malgré l’analyse Freudienne, infligé à l’humanité, par la décentration de l’héliocentrisme, sa première blessure d’amour-propre. Le géocentrisme n’était finalement pas flatteur, qui soulignait comme infranchissable la distance de l’homme-Terre au Ciel-divin. L’homme devait lever les yeux ... et voilà qu’il habite lui aussi l’Empyrée! La relation inférieur - supérieur, décalque de la structure Terre (en bas) - Ciel (en haut) est soudain contestable, tout est à niveau, et les hommes sont, entre eux, ontologiquement égaux! Une nouvelle vision de la nature humaine peut éclore.
En même temps, la classification médiévale des savoirs est bouleversée. Dans cet univers à plat, l’importance d’un savoir ne réside plus dans la sublimité (disparue) de son objet, mais dans la pertinence (efficace) de la méthode qui le crée. Et la certitude de ce savoir ne naît que des principes mathématiques qui le fondent. La terre est réhabilitée? Oui, mais le physicien du coup a terrassé le poète.. La vérité n’est plus dans l’apparence, qu’il pouvait chanter, comme du temps où le soleil se couchait “vraiment”... Et Galilée ne voit plus dans l’Iliade ou le Roland Furieux que “des œuvres de la fantaisie d’un homme où la vérité de ce qui est écrit est la chose la moins importante”.
La mathématisation du monde s’installe et, désormais péjorativement (la guerre de Charles-Percy Snow est ouverte et la première bataille est perdue par les poètes!), “tout le reste est littérature”, c’est à dire: inepties, élucubrations, absurdités!

**** L’IMMENSE EFFORT DE DESCARTES.... Comme un assèchement constructif.

Galilée, c’était le coup d’envoi. Il y a d’autres coupables! Sa condamnation de 1633 a certes fait peur à René Descartes: ce dernier s’apprêtait à publier un travail allant dans le même sens, il diffère. Mais en 1637, il fait paraître d’autres pans de sa réflexion coiffés d’une longue préface, le “Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et et chercher la vérité dans les sciences”. Pourtant (ou parce que), il le dit lui-même, “nourri aux lettres dès l’enfance”, il a jugé celles-ci porteuses d’erreurs et d’ignorance , il les a reniées.

La Guerre de Trente ans et sa volonté d’y prendre part en essayant de rejoindre les forces de la Sainte Ligue catholique... voilà le contexte qui lui fait élaborer, quand l’hiver le bloque à Ulm, dans une chambre chauffée par un poèle en faïence passé à la postérité, l’idée de sa “méthode”: “Réformer mes pensées et bâtir sur un fond qui fût tout à moi / Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment pour telle”.
Tout pour lui, désormais, devra procéder de cela, qui procède des mathématiques car pour lui les idées absolument claires et distinctes et seules acceptables comme vraies sont des concepts mathématiques.

Cette invasion du champ de la pensée par la “Méthode”, si elle induit un véritable et décisif bond en avant des outils de la connaissance, va peut-être en partie excéder ses souhaits. L’enfant échappe au père et, par son esprit de système, afflige une école de pensée humaniste qui se raidit devant l’assèchement du monde qui en découle.

C’est Jonathan Swift qui publie en 1704 à Londres une fable où l’araignée et l’abeille s’opposent. L’araignée qui détruit le monde (les mouches) dont elle se nourrit et prétend tout tirer d’elle-même dans le champ clos délimité par la toile qu’elle tisse, métaphore du cartésianisme. L’abeille qui fait son miel sans les agresser des fleurs qu’elle butine et incarne, de l’une à l’autre, cette “médiation” menacée qui s’épanouissait à la Renaissance.

C’est Giambattista Vico qui prononce en 1708 à Florence une conférence: “De la méthode des études de notre temps” (De nostri temporis studiorum ratione), où il dénonce les dangers du cartésianisme pour l’homme européen si “... les jeunes gens [devaient] entrer dans un monde des hommes qui serait composé de lignes, de nombres et de signes algébriques”.

Combats d’arrière-garde? Le XVIII° siécle vivra dans cette certitude que la rationalité scientifique représente la forme la plus haute et la plus parfaite de la raison, promettant aux hommes la maîtrise de leur destin et de la nature.

Et puis en 1790, le philosophe et politicien libéral anglais Edmund Burke publie ses “Réflexions sur la Révolution de France”, pointant, au delà de l’abolition des privilèges, le rejet du passé au profit d’une seule abstraction: les droits naturels de l’homme. Il tempête: le “Je pense” délire, ce n’est que le dérapage du “moi”, qui le prononce en se prenant à lui seul pour toute la Raison. Pour certains c’est un dessillement. Il en naîtra le romantisme , analysant: le malheur des hommes vient de ce que désormais ils ont voulu, en pensant exclusivement par eux-mêmes, annuler leur dette avec leur date de naissance. La Raison n’est pas tout! La réalité transcende l’intelligible et “je” ne pense que parce qu’il y avait quelqu’un avant moi.

L’humanisme va se diviser entre trois écoles.
Il y a ceux qui sonnent la charge du progrés, les galiléo-cartésiens, qui plaident le renversement partout, sans cesse, de l’erreur et des fausses théories.
Il y a ceux qui refusent de tout abandonner à la “Méthode”, les romantiques, qui s’arc-boutent sur l’irréductible enracinement de l’homme , sans pour autant refuser toute avancée.
Il y a ceux, enfin, les frileux si on leur est hostile, qui veulent avant tout veiller, conservateurs, sur le trésor des grandes œuvres.
Le courant littéraire que Charles-Percy Snow croira homogène est déjà divisé et cette division va s’accompagner d’une dislocation de la philosophie.

***** L’ÉCLATEMENT DE LA PHILOSOPHIE .

En 1929 à Vienne, publication d’un manifeste: “La conception scientifique du monde”, dont la préface, signée par un mathématicien et deux logiciens, réaffirme qu’il n’y a pas d’autre saisie objective que la démarche scientifique. Le monde n’est, stricto sensu, que ce que la science en dit, en énonce . Les autres énoncés (métaphysiques, théologiques, ... poétiques) expriment des émotions mais ne disent rien. La philosophie tient sa querelle! Elle est écourtée par le nazisme: les viennois doivent s’exiler vers l’Amérique. C’est de là, comme en Angleterre Russel, qu’ils essaieront de recommencer une philosophie.

En Europe, Husserl et après lui Heidegger, grands admirateurs de la pensée antique, de la Grèce comme source de la pensée, analysent la crise et Husserl en cherche l’origine chez Galilée, incarnation certes d’une victoire de la science sur l’ignorance, mais aussi initiateur d’une injonction à tout mathématiser qui conduit à prendre pour l’être-vrai ce qui n’est que méthode. Heidegger pointera cette déperdition de la pensée “méditante” héritée de l’antiquité au profit d’une pensée “calculante”. Il voit venir l’hégémonie d’une intelligence finalement abêtissante dans un monde seulement manipulateur de symboles, éliminant tout ce qui, dans la pensée et dans l’être, en un sens noble, rumine.

Mais Heidegger discrédite son discours par son flirt avec le nazisme, provoquant par ce dérapage une véritable déroute de la pensée philosophique. Hannah Arendt reprendra position en dénonçant l’aberration d’une démarche oubliant que l’humanité est terrestre, que la raison ne saurait mettre des hommes en situation de décider qui est autorisé à habiter la planète, que nul ne peut s’inscrire dans une vision du monde globalisante et oublieuse de ce qu’il y a, dans la vie, d’immaîtrisable et d’imprévisible, et qui doit le rester.

****** LA POÉSIE ET LE ROMAN.

On s’interroge dans les années 90 (Revue Le Débat) sur une “Crise de la poésie”, constitutive des temps “modernes”: la prise de possession des consciences par le cartésianisme, c’est le glas de la poésie! Elle s’occupait de connaissance sensible: la connaissance scientifique la ravale au rang de variété élégante ou émouvante de la méconnaissance. Or il y a un vrai du réel qui n’est pas la science : “Y a-t-il un concept (mathématisable) d’un pas qui vient dans la nuit, d’un cri, de l’éboulement d’une pierre dans les broussailles? De l’impression que fait une maison vide?” (demande Yves Bonnefoy). L’homme moderne s’en soucie-t-il vraiment, qui habite un espace que la Méthode a produit, où la région PACA met la Provence, les Alpes et la Côte d’Azur hors d’état d’excéder leur fonction économique?

Mis à quia, les poètes? Pas tous, à côté des soumis, il y a les rebelles. Il y a ceux qui veulent continuer à parler transitivement (à énoncer quelque chose) et d’autres qui ne veulent plus le faire qu’intransitivement (énoncer pour l’énonciation), abandonnant à la science tout le dire qu’elle revendique mais faisant de l’énoncé in-sensé un art en soi. Mallarmé a dressé le modèle de l’œuvre pure contre ces deux modalités dégradées de la parole que sont “l’universel reportage” et “l’expression du sentiment de la vie”. Il y a aussi, sans nier la richesse du non-référent de la parole, Yves Bonnefoy, qui refuse de l’enfermer à ce point sur elle-même. Ou Francis Ponge, qui veut le poète ambassadeur du monde muet, s’enfonçant jusqu’à ce niveau que le vocabulaire fonctionnel et les opérations comptables ignorent, ce niveau où l’on découvre des choses derrière les choses.
Le poète: médiateur indispensable des enfouissements inatteignables autrement que par lui.

Mallarmé néanmoins, en donnant son congé au réel, a débordé la poésie. Il a conduit toute la littérature à n’œuvrer que pour la littérature, substituant à l’écriture de l’aventure ... l’aventure abstraite de l’écriture. C’est à Milan Kundera (L’Art du Roman - 1986) qu’il reviendra, réfléchissant encore à l’émergence de la modernité cartésienne, de réestimer dans une logique de complémentarité oppositionnelle les deux cultures, scientifique et littéraire.
Il repart de Descartes et de Cervantés, il les fait co-fonder les temps modernes. Le Dieu chrétien a perdu son pouvoir sur la destination de l’homme? L’homme devient alors chez Descartes le mètre de tout ce qui se mesure, le mètre de l’étant. Et Cervantés? Dans la dissolution de l’unique vérité divine, il fait apparaître des centaines de vérités relatives! Et cohabitent ainsi, originellement, l’égo pensant comme fondement de tout et le tout comme ambiguité, avec pour seule certitude son incertitude: la science examine avec acharnement le pourquoi des choses et l’esprit du roman, son ennemi intime et son nécessaire contradicteur, tourne en bourrique le principe de raison.

Le conflit pourrait être riche, las, le destin indolore, mortel, sous la forme de l’arraisonnement de la sphère des loisirs par l’industrie culturelle, s’annonce, qui menace tout effort littéraire, par essence complexe, en proposant à l’esprit, sous l’impératif d’efficience, de fuir justement (et c’est sa pente naturelle) toute complexité dans une offre de produits à interprétation minimale, donnant un sens à la (triste) question : À quoi bon, encore, des poètes et des romanciers?

******* ET LA POST-CULTURE ...

Cette deuxième Leçon de Finkielkraut se clôt sur une note amère. Il souligne l’apparition hégémonique, dans les années soixante, d’un nouveau domaine d’exercice de la pensée, ni littéraire, ni scientifique. L’heure a sonné de l’émergence des sciences humaines, de la sociologie, au terme dit-îl d’une double gestation. Dans le prolongement des Lumières, de la méthode universelle, le projet de compléter la domination rationnelle des forces de la nature par la domination de la société est né. Il a produit quelques monstres: le nazisme, le goulag,... et le contemporain, dégrisé, attend des outils maintenus, perfectionnés, des sciences sociales, non plus la mise en équation de la réalité humaine, mais l’examen de l’irréductible diversité des usages et manières d’être.
Sauf qu’à ce jeu, ce qui va se dégager, c’est l’affirmation que toute culture est locale, est culture d’un groupe, d’une classe, et ne se déduit d’aucun principe universel, physique, biologique. Toute culture, dit le contemporain, le moderne (?), est arbitraire, aucune ne peut valoir pour l’humanité. Il n’y a pas un monde, mais des versions du monde. À chaque époque sa métaphysique et tout est construction sociale.
Et le moderne devient post-moderne dans le renoncement au dévoilement de l’Être vrai, au bénéfice de l’affirmation de la plasticité sans limite des hommes et des choses. Ce courant “culturaliste” jette les “littéraires” dans les bras de la démystification. Hormis quelques dévots attardés, les professeurs de lettres s’appliquent désormais à désacraliser leur patrimoine. La création est spoliée de son aura, le passé rabaissé, le culte des chefs - d’œuvre suscite l’ironie... Là où il y avait des intercesseurs, les démolisseurs s’en donnent à cœur joie. Car s’il n’y a que des constructions sociales, pourquoi privilégier celle-ci plutôt que celle-là ?

La pensée post-moderne délégitime tout à la fois l’idée de progrès et la vertu de prudence, elle table sur le flux sans s’inquiéter de sa destination, elle s’enchante , pensée ludique, de la trépidation et de la variété des arrangements sociaux . Notre temps remplace cette ascension sans fin qu’est la cultura animi par l’horizontalité à perte de vues des pratiques culturelles et n’accorde l’estampille de l’universalité qu’à la batterie des savoir-faire que requiert la raison instrumentale. Le “culturel” emporte tout dans une pate indifférenciée et plonge dans l’oubli, en lui volant son beau nom (Culture), le double travail de façonnement de soi et d’élucidation de l’être qui faisait s’affronter naguère (et au titre de deux Cultures...) et s’accommoder autrefois, scientifiques et littéraires.

Publicité
Publicité
Commentaires
AutreMonde
Publicité
Derniers commentaires
Archives
Publicité